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su tempérer par sa loyale franchise la rigueur de ses devoirs. Il est possible que ses manières fussent moins répulsives que celles de sir Hudson Lowe, mais on ne voit pas, en consultant les documens écrits, que, pendant la courte durée de ses fonctions intérimaires, l’état des choses ait été bien différent de ce qu’il devint par la suite. Les esprits n’avaient pas encore eu le temps de se porter à ce degré d’exaspération et d’aigreur où ils arrivèrent plus tard, mais déjà Napoléon avait manifesté contre son gardien provisoire une violente irritation qui éclata pour la première fois à l’occasion du refus qu’on lui fit de le laisser parcourir sans escorte certaines parties de l’île. Des propos injurieux avaient été tenus, des lettres blessantes échangées entre l’amiral et les serviteurs de l’empereur. Dans une réponse de l’amiral au comte Bertrand, qui, en lui transmettant les plaintes de Napoléon, avait désigné son maître par le titre impérial, on trouve cette phrase qui, si elle eût été écrite par sir Hudson Lowe, aurait été bien souvent citée comme une cruelle ironie : « Vous m’obligez à vous dire d’une manière officielle que je n’ai pas connaissance qu’il existe en ce moment dans cette île aucun empereur, ni que j’y aie amené aucune personne revêtue de cette dignité. » Il semblerait d’ailleurs que cette incroyable phrase n’était pas une mauvaise plaisanterie, mais bien une précaution pédantesque prise pour garantir la responsabilité de sir George Cockburn, qui, écrivant quelques jours après à lord Hathurst pour l’informer de cet incident, affectait sérieusement de n’être pas absolument certain que ce fût du général Bonaparte que le comte Bertrand eût voulu parler.


II

Ce fut le 17 avril que sir Hudson Lowe se présenta pour la première fois devant Napoléon. La veille, l’empereur captif avait refusé de le recevoir sous prétexte d’indisposition, mais en réalité parce qu’on avait négligé de l’avertir à l’avance de sa visite. Ce premier entretien, dans lequel il fut beaucoup question de la Corse et de l’Égypte, où sir Hudson Lowe avait fait la guerre, ne parut pas laisser de lui une impression défavorable à Napoléon, qui, tout en remarquant la sécheresse de sa conversation, exprima l’opinion qu’on pourrait s’entendre facilement avec lui.

Cette illusion ne devait pas durer. Il y avait dans la situation des difficultés dont il n’eût pas été donné à l’homme le plus habile de triompher, bien moins encore à sir Hudson Lowe.

Qu’on se représente le héros qui, trois ans auparavant, gouvernait encore l’Europe — maintenant captif sur un rocher à deux mille lieues de notre continent, soumis à toutes les volontés du général