Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et du prestige monarchiques, doit sans doute être d’un très difficile accès pour quiconque n’est pas né sur les marches du trône, mais que ce même intérêt prescrit bien plus impérieusement encore de respecter à jamais, à travers toutes les vicissitudes de la fortune, dans l’homme qui l’a une fois obtenu du consentement d’un peuple et de l’assentiment des gouvernemens étrangers.

Il est, je crois, peu d’esprits tant soit peu sensés qui méconnaissent aujourd’hui d’aussi incontestables vérités. M. Forsyth avoue que le refus de traiter Napoléon captif en prince souverain n’était pas fondé en raison, qu’il avait quelque chose de puéril, que Napoléon devait naturellement voir une insulte préméditée dans l’affectation qu’on mettait à l’appeler le général Bonaparte, et que des difficultés sans nombre ne pouvaient manquer d’en résulter dans ses rapports avec le gouverneur de Sainte-Hélène. Cherchant une excuse à ce qui n’était, comme je l’ai expliqué, que l’effet des passions et des préjugés du temps, il pense que l’on craignait, en maintenant à Napoléon la qualification impériale, de s’imposer envers lui des ménagemens qui eussent rendu plus difficile et moins efficace la surveillance dont il devait être l’objet. Une telle interprétation se réfute d’elle-même. Ce n’était pas la première fois qu’on voyait un souverain prisonnier de guerre, et pour ne citer qu’un exemple, Charles-Quint avait pu soumettre François Ier à une captivité qui fut par momens bien rigoureuse, sans cesser pourtant de le traiter en roi.

Je parlerai bientôt des fâcheuses conséquences de la détermination prise à cet égard par les puissances alliées ; mais il en est une que je dois signaler dès à présent. Si le traitement fait à Napoléon dans son exil ne fut pas, même au point de vue du bien-être matériel, ce que les convenances eussent demandé, il faut s’en prendre, j’en suis convaincu, moins à une dureté de cœur qui aurait été inconcevable, moins à un misérable esprit d’économie qui cependant y eut bien aussi quelque part, qu’à la crainte de paraître faire pour Napoléon plus qu’on n’eût fait pour un particulier d’un rang élevé et lui reconnaître ainsi le rang princier dont on mettait tant de prix à le dégrader. Cela ressort des instructions émanées de lord Bathurst, qui recommandent d’accorder, autant que possible au général Bonaparte tout le bien-être et l’établissement dont jouissent d’ordinaire les officiers du rang de général en chef. Une lettre qui sert de supplément à ces instructions contient le passage suivant, conçu dans le même esprit : « Bien que l’intention du gouvernement de sa majesté soit que l’appartement occupé par le général Bonaparte soit suffisamment garni, il faut éviter soigneusement toute dépense non nécessaire, et le mobilier doit être solide et bien choisi sans profusion d’ornemens. » On peut croire que c’est dans la même pensée qu’on défendit de loger Napoléon dans l’habitation assignée au gouverneur