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à chaque instant et qu’elles réveillaient sans cesse dans l’esprit du prisonnier le douloureux sentiment de la grandeur de sa chute, c’est le refus de le désigner par son titre impérial, c’est l’ordre donné de ne l’appeler que le général Bonaparte. Comme je l’ai déjà fait entendre, on croyait par là effacer, amoindrir au moins dans les imaginations le prestige de son ancienne puissance et rayer en quelque sorte de l’histoire quinze années d’un pénible souvenir. Refuser à l’homme que la France avait reconnu pendant dix ans pour son souverain, alors qu’elle était victorieuse de l’Europe, le rang qu’il avait si longtemps possédé, que tous les princes du continent avaient sanctionné par tant de traités, c’était, de la part de ces princes, une singulière inconséquence, assez difficile à concilier avec le soin de leur propre dignité et avec ce respect, cette inviolabilité du titre royal qu’ils croyaient pourtant assurer de la sorte. Quant à l’Angleterre, elle pouvait sans doute alléguer que jamais elle n’avait reconnu Napoléon en qualité d’empereur ; mais cela tenait uniquement à ce qu’ayant été constamment en guerre avec lui depuis le moment où il était monté sur le trône, elle n’avait pas eu l’occasion de signer un traité qui aurait constaté cette reconnaissance. Personne n’ignore qu’à plusieurs reprises il avait dépendu de lui de l’obtenir en renonçant seulement à quelques-unes de ses conquêtes les plus excentriques ou de ses prétentions les plus exagérées. À Châtillon même, au milieu de ses désastres, quelques jours avant la prise de Paris, le cabinet de Londres, sincère ou non, offrait encore de le reconnaître. Enfin le traité de Fontainebleau lui avait conservé, avec la pleine souveraineté de l’île d’Elbe, le titre d’empereur. Lord Castlereagh, il est vrai, en adhérant à ce traité, évita d’y apposer directement sa signature ; mais en vérité, si l’on devait croire que les ministres qui gouvernaient alors l’Angleterre attachèrent une importance réelle à cette subtilité, on ferait peu d’honneur à leur bon sens et à la gravité de leur esprit. Il n’en est pas moins certain que, pendant les dix mois qui s’écoulèrent entre le traité de Fontainebleau et le débarquement de Cannes, Napoléon, malgré l’immensité de sa chute, continuait à être pour tous les gouvernemens du continent un prince souverain, et que pour la première fois l’Angleterre elle-même le reconnaissait, le traitait comme tel. Il n’en est pas moins vrai que si, en reprenant les armes au mois de mars 1815, il s’exposa à toutes les chances que la guerre entraîne pour un souverain, telles que la perte de ses états, celle même de sa liberté, — il n’autorisa pas le cabinet de Vienne à le mettre hors la loi, incroyable extrémité de la passion politique dont les ministres anglais durent, au sein du parlement, désavouer le sens apparent et naturel ! Il ne donna pas même au congrès le droit, de le dépouiller de ce caractère royal qui, dans l’intérêt du principe