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la pensée qui lui a mis la plume à la main, de tenir la balance égale, et il y réussit quelquefois.

J’ai dû indiquer le but et le caractère du livre que j’ai entrepris d’analyser. Je me hâte d’entrer dans le fond du sujet.


I

Il est un point qu’il faut éclaircir avant tout, parce qu’il domine ce sujet tout entier. La captivité de Napoléon fut-elle une violation de la foi jurée, un attentat au droit des gens ? Bien que l’empereur n’ait cessé de le prétendre et que tous ses partisans l’aient répété sans jamais, il est vrai, serrer de bien près cette question capitale, je ne crains pas de dire qu’elle est résolue dans un sens négatif par le simple exposé des faits. Lorsque Napoléon se décida à se remettre aux Anglais, des retards imprudens lui avaient fermé toute voie assurée de retraite ; les seules et faibles chances d’évasion qui lui restassent l’auraient jeté dans des hasards que son courage eût bravés sans doute, mais auxquels répugnait sa dignité ; en hésitant plus longtemps à prendre un parti, il eût risqué de tomber entre les mains d’ennemis plus implacables encore, qui n’eussent peut-être pas épargné sa vie, ou dont la clémence, s’il avait pu l’encourir, eût été pour lui une humiliation. Le parti auquel il se détermina lui fut donc imposé par une nécessité absolue qui ne lui laissait pas la possibilité de stipuler des conditions, et rien ne l’autorisait à espérer que sa liberté serait respectée. L’officier qui le reçut à son bord lui avait loyalement déclaré qu’il n’était en mesure de prendre avec lui aucun engagement, et qu’il ne pouvait, que le conduire en Angleterre, où le gouvernement déciderait de son sort.

Libre de tout engagement avec Napoléon, ce gouvernement devait-il, pouvait-il lui accorder la libre hospitalité qu’il demandait dans sa détresse, ou lui permettre d’aller chercher aux États-Unis le seul asile qui fût ouvert à cette grande infortune ? Qu’on nous permette de rappeler quelle était alors la situation de l’Angleterre. Unie aux puissances continentales par une étroite alliance qui avait pour but de délivrer le monde de l’homme dont on regardait l’existence comme inconciliable avec l’ordre politique établi et avec le maintien de la paix, l’Angleterre, alors que le hasard seul avait fait tomber entre ses mains cet ennemi formidable plutôt que dans celles de ses alliés, ne pouvait évidemment disposer de lui sans leur assentiment, et je doute que Napoléon ait été complètement sincère lorsqu’il a dit à Sainte-Hélène que l’empereur de Russie et l’empereur d’Autriche l’eussent traité avec plus de générosité. Pour tous les gouvernemens sans exception, on pourrait dire pour l’Europe entière, pour la France elle-même, sans distinction d’opinions et de partis,