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aurait son prix. En Angleterre, il y a une sorte de socialistes qu’on appelle chrétiens, qui peut-être ne sont pas tous parfaitement orthodoxes, dont quelques-uns cependant appartiennent au ministère sacré, écrivains convaincus, réfléchis comme M. Kingsley et M. Maurice. Un zèle ardent pour le bien, une grande vivacité d’imagination, une sympathie pour les faibles qui arrive jusqu’à la passion, une humanité malveillante les entraînent à la déclamation et au paradoxe ; mais ils se méprennent : leur énergique talent était fait pour la satire sérieuse. Le rôle de Juvénal dans la société moderne leur allait à merveille, et peut-être, en peignant le mal de couleurs forcées, pouvaient-ils rendre un service véritable, car l’apathie des classes conservatrices a toujours besoin d’être réveillée, et les ouvriers ne sont pas les seuls dont on doive éclairer l’imprévoyance. D’ailleurs ces peintres emportés du temps et du pays sont faibles lorsqu’ils raisonnent, et leur habile adversaire, quand il les tient sur le terrain de la science, les y laisse bientôt vaincus et désarmés. Sa force à lui, c’est qu’à priori il n’est contre aucune réforme, aucun examen ne lui fait peur. Il met tout à l’épreuve, comme le veut l’Écriture, et garde ce qui est bon. Ainsi, quand on lui propose une réforme chimérique, il en présente tout de suite une praticable.

VII. — Il en est une dont l’idée a été livrée au public sans avoir encore excité de vives passions populaires : je veux parler de la nouvelle réforme parlementaire. Les réformes politiques ont un grand avantage sur les réformes sociales ; elles n’ont point en elles-mêmes ce caractère subversif qui épouvante à la première vue ; mais, étant d’une exécution plus facile, elles peuvent se présenter sans mettre la société sur ses gardes, et, accueillies avec trop peu de défiance, amener sans bruit des dangers imprévus : telle pourrait être la réforme parlementaire. Comme c’est bien réellement une réforme et nullement en soi une révolution, comme ce serait une mesure qui rentre dans les habitudes de la nation, comme il ne s’agirait après tout que de recommencer ce qu’on a fait, en retouchant ce que l’on garde, en étendant ce qu’on a gagné, il est impossible d’écarter péremptoirement la proposition par la question préalable. Cependant des esprits sages s’en inquiètent, et craignent d’autant plus ce changement, qu’il est d’abord aisé de l’accomplir, et plus tard impossible d’en revenir. Le public même accepte le débat avec un sentiment d’hésitation, et je crois pouvoir dire que, sur le continent du moins, on n’a pas vu sans étonnement le gouvernement entrer dans cette idée. On s’est demandé à quelle nécessité, à quel intérêt il sacrifiait le maintien d’une législation récente, qui fonctionnait bien et que ne poursuivait aucune clameur publique. Sur ce point, je ne saurais avoir d’avis : je ne puis que répéter les opinions