bonheur de notre siècle que l’humanité s’intéresse à elle-même, et que tous n’aient qu’une pensée. Comment rendre les hommes assez heureux et assez raisonnables pour que leur dignité soit sauve ? disent les uns : — pour que la société subsiste ? disent les autres. Mais la question qui les préoccupe tous est la même, tous contemplent le même objet. Le but ou le prétexte des gouvernemens comme des révolutions, des lois comme des guerres, des recherches de la science comme des travaux de l’industrie, c’est ce que se proposait Bacon en renouvelant la philosophie ; c’est de servir les intérêts de l’humanité, de la doter de nouvelles œuvres et de nouvelles puissances, d’améliorer en un mot les conditions de la vie[1]. Le vice, la misère et l’ignorance sont, d’un avis unanime, l’ennemi commun ; c’est à les combattre que se consacrent les plus hautes intelligences comme les plus généreux cœurs. La religion, délivrée d’un préjugé qu’un ascétisme inconséquent s’était efforcé d’identifier avec elle, a proclamé, par la bouche d’un de ses plus saints et plus habiles interprètes[2], cette vérité qu’on lui reprochait de méconnaître : « Le monde est ainsi constitué, que si nous étions moralement bons, nous serions matériellement heureux. » Ne vous hâtez pas de vous écrier que c’est là un lieu-commun. L’idée est triviale en effet ; mais qu’elle le soit devenue, c’est ce qui constitue le progrès.
Qu’y a-t-il donc de si pénible à penser tout cela ? Nul ne le pourrait dire ; mais ce qu’on saura dire, c’est que cette pensée facile et douce à concevoir est terrible à réaliser ; elle est grosse d’illusions et de passions, elle égare et elle soulève. Cela aussi est un lieu-commun, et tout ce qu’il signifie, c’est qu’il est plus difficile de faire que de penser ; c’est qu’il est nécessaire d’appeler à l’œuvre toutes les forces de la raison pour améliorer en grand le sort de l’espèce humaine. Nul pays n’en est plus convaincu que l’Angleterre, nul pays ne s’est plus approprié les maximes de la philosophie baconienne, et n’a plus en toutes choses célébré l’hymen de l’esprit et de l’expérience. L’Angleterre a reproduit dans son histoire, en traits distincts, tout le développement graduel de la société ; elle a passé par toutes ces phases, dont la dernière semble à quelques-uns si menaçante ; elle a connu la féodalité et le moyen âge, la royauté, l’aristocratie, les assemblées représentatives, les libertés locales, l’impôt consenti, les privilèges politiques, le droit commun ; de tout cela est résulté le gouvernement que l’on sait. Quoi qu’on pense des avantages de ce gouvernement, M. Greg en fait l’aveu, l’Angleterre