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de murailles du château d’Heidelberg, tout couverts d’ornemens et de sculptures, mais qui simulent un monument disparu et ne couvrent que des ruines ?

Tel est le découragement, ou pour mieux dire l’abaissement des esprits, que pour beaucoup indiquer cette question, c’est la résoudre, et la résoudre dans son sens le plus désastreux. On a passé par des épreuves si décevantes, par de si cruels mécomptes, qu’on ne veut plus admettre que rien de brillant soit solide, et l’on prend pour consolation de ses revers la triste joie d’en prédire de semblables, et de désespérer des autres comme de soi. On se croirait peu sage si l’on n’était lugubre, et l’on dit comme le roi Lear :

Je sens qu’avec plaisir je venais la tempête ;


la tempête où d’autres feraient naufrage, cela s’entend.

Comme disposition d’esprit, c’est déjà un tort. Quoi qu’il doive advenir, quelque secret que recule le sein du temps, il n’y a plus rien à faire si l’on prononce par avance que tout est illusoire et vain. Que peut-on pour le monde, quand on croit à la fin du monde ? On médecin qui déclarerait à priori tous les gens malades et toutes les maladies incurables serait mal venu à raisonner sur la médecine. On ne peut fructueusement étudier les problèmes de la politique que si l’on est persuadé qu’ils sont solubles, et comme on dit qu’en temps de peste ceux-là succombent qui perdent courage, une certaine confiance est nécessaire pour sainement juger d’un mal imaginaire ou réel. Ce qu’on appelle le moral a besoin de n’être pas atteint, pour que l’on voie clair au milieu des périls, pour que l’on puisse s’assurer seulement qu’il y a péril. C’est une faiblesse de vieillard que de vouloir que personne ne puisse réussir où l’on a succombé, et que de confondre l’impuissance et l’impossibilité.

« L’histoire, dit M. Greg en citant Arnold, interdit le désespoir. » Non-seulement il faut toujours se dire que le temps n’est rien pour l’humanité dans la main de la Providence, et qu’après tout les siècles, pour avoir été lentement féconds, ne seront pas devenus tout à coup stériles : mais encore l’aspect général de notre époque n’est pas aussi sombre que nos pensées. Que la civilisation marche à pas plus rapides, qu’elle réalise à moindres frais de plus grands biens, comment ne le point voir, si l’on ne ferme volontairement les yeux ? Le trait saillant, le caractère prophétique du temps, c’est que tous, grands et petits, reconnaissent les droits quelconques de la masse de la communauté, du peuple en un mot. Il faut oser redire de certaines paroles, quand on est assuré de les dire à bonne intention, et qu’on n’a point à rougir de ce qu’on pense. C’est donc, répétons-le, un