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un mystère pour nous. Toutefois nous serions surpris que celui de M. Greg ne fût pas le style qui convient au sujet. Ce n’est pas la richesse éclatante à laquelle M. Macaulay a habitué ses lecteurs. La manière n’est pas exempte peut-être de diffusion et de monotonie : mais il faut se rappeler que ce sont des morceaux détachés, qui roulent quelquefois sur le même sujet considéré à diverses reprises et dans plusieurs recueils différens : les redites étaient inévitables, et les journaux sont obligés de sans cesse recommencer. Qu’il suffise donc d’avertir que par la forme l’ouvrage est d’un homme d’esprit et de talent ; mais voyons le fond, et, laissant sa manière de dire, voyons sa manière de penser.

Les vingt-trois essais qui composent le recueil peuvent se diviser en deux classes : les uns, les plus nombreux et les meilleurs, regardent l’Angleterre ; les autres concernent l’Europe et surtout la France. Bien entendu que dans les premiers comme dans les seconds, le rapprochement de l’Angleterre avec le reste du monde revient sans cesse, et que l’auteur s’adonne souvent à la politique comparée. Nous diviserons de même ce que nous avons à dire d’après lui, et nous commençons par l’Angleterre.

Les travaux destinés à la faire connaître historiquement n’ont pas manqué dans le recueil où nous écrivons, et nous-même, nous avons à demander pardon au lecteur d’avoir sans mesure remis sous ses yeux le spectacle des scènes du drame constitutionnel sur le théâtre de Westminster ; mais ne pourrait-il pas de temps à autre s’être fait une question à laquelle nos articles n’offraient aucune réponse ? Assurément l’Angleterre, aura-t-il pensé, a possédé un grand gouvernement ; elle a réalisé ce gouvernement mixte entrevu et admiré des sages de l’antiquité, dont Tacite parle avec envie, sans oser se flatter qu’il puisse exister, ou, s’il existait, durer longtemps. La société anglaise est une société originale, dont la prospérité n’est pas plus contestable que la liberté, et qui, placée dans des circonstances exceptionnelles, a été comblée des biens de la civilisation : mais est-elle encore ce qu’elle a été ? a-t-elle bien le même gouvernement ? l’Angleterre d’aujourd’hui n’est pas évidemment l’Angleterre de Walpole, celle de Chatham, celle même de Pitt et de Fox, celle même de Wellington et de Canning. Ce mouvement qui emporte le monde ne l’a-t-il pas enveloppée dans son cours, et les changemens qu’elle a subis, ceux qu’elle prépare, ceux qui la menacent, ne sont-ils pas tels qu’il serait téméraire de juger de son avenir par son passé ? Ces formidables questions, qui tourmentent tant d’esprits, ne se posent-elles pas pour elle aussi comme pour toutes les nations modernes, et ce qui lui reste de son antique existence n’est-il pas désormais une décoration sans réalité, quelque chose comme ces gigantesques pans