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bas, le vieux a l’air de revenir d’un pèlerinage ; le voilà en toilette de dévot, les bras et la poitrine frottés de cendres. Il a eu tort de prendre tant de peine, car tout à l’heure la vague l’aura débarbouillé de la tête aux pieds.

Le cossever était, comme l’avait remarqué le batelier, en grande tenue de pèlerin, frotté de cendres, les cheveux nattés, le triple bâton à la main et le regard béat. L’eau du Gange ne l’avait pas rajeuni, mais il se sentait l’âme tranquille et le cœur léger. Dans ce lointain voyage accompli en vue de plaire aux dieux, il avait dépouillé le vieil homme et si bien médité sur l’âme universelle répandue dans tous les Êtres, qu’il ne pouvait plus s’arracher à sa contemplation. Un sourire continuel errait sur ses lèvres tandis qu’il se parlait à lui-même. Palaça au contraire avait perdu ce qui lui restait de l’enfant. Ses traits gracieux, mais plus fermes, prenaient cet accent de pudique fierté par lequel les jeunes filles de l’Inde rachètent la trop grande simplicité de leur vêtement. Les bras et le bas de la jambe chargés d’anneaux et de bracelets qui résonnaient à chaque mouvement qu’elle faisait, Palaça se hâtait d’empaqueter ses effets. Il lui tardait d’être à terre et surtout de fouler le sol de son jardin. La patrie se révélait à elle avec ce charme inexprimable qu’on lui trouve après une absence. Ce fut à ce moment que Dindigal, balancé par le flot, se montra à ses yeux ; le visage du Makoua était la première figure de connaissance qu’elle rencontrait, et elle se mit involontairement à lui sourire. Dindigal, portant les mains à son front, s’inclina comme s’il eût adoré une idole, puis, enhardi par ce bienveillant accueil, il signala du doigt à la jeune fille un petit pavillon jaune qui flottait à terre au-dessus de la capitainerie du port.

— Pauvre fou ! pensa la jeune fille, il se plaît à voir voltiger ce chiffon, — et s’adressant à lui : — C’est bien joli, cela, et le Makoua voudrait bien l’avoir pour s’en faire un turban !…

— La barre grossit, répliqua Dindigal ; ce pavillon défend aux schellingues de quitter la terre et rappelle au port celles qui sont au large… Il est temps de débarquer.

Palaça avait parlé au Makoua comme on parle à un enfant, sans écouter sa réponse ; d’ailleurs elle n’en eût pas compris le sens. Comme les personnes peu habituées à la mer, elle supposait que tout péril avait cessé du moment où ses yeux avaient aperçu la côte. Elle descendit donc gaiement dans la schellingue avec son père et alla s’asseoir à la proue. Penchée en avant, le regard dirigé vers la terre, elle ramenait autour de sa taille les plis flottans de son écharpe, qui voltigeait à la brise, pareille à l’oiseau qui bat de l’aile prêt à prendre son essor. Dindigal suivait de près, ramant avec énergie à la proue du catimaron. En approchant de la barre, les rameurs de la