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ces fétiches à quatre pieds. Disposés par rang de taille devant la cabane, ils semblaient prêts à prendre leur course à travers la campagne, tant ils avaient l’air vif et fringant. Plus d’un pauvre cultivateur donna sa dernière pièce de cuivre pour acheter un de ces talismans, car le cossever vendait sa marchandise le plus cher qu’il pouvait et ne faisait jamais crédit. La recette fut donc excellente durant plus de six semaines. Lorsque les demandes eurent cessé, le cossever pensa qu’il pouvait bien rendre aux dieux une partie de l’argent que la pieuse crédulité des paysans lui avait fait gagner.

— Palaça, dit-il à sa fille, il y a longtemps que je travaille, et notre petit commerce a prospéré. Te voilà grande, et je me sens vieux ; il est temps que nous fassions un pèlerinage au bord du Gange.

— Je vous accompagnerai, mon père, répondit Palaça ; vos désirs sont des ordres pour moi.

— Est-ce que tu n’es pas bien aise d’aller te baigner dans les eaux du fleuve qui purifie de tous les péchés ?

Palaça jetait un regard sur le jardin, tout paré de fleurs charmantes ; les cocotiers commençaient à pousser de nouvelles feuilles, et des plantes grimpantes entouraient de leurs tiges fleuries la haie du petit enclos.

— Mon père, reprit-elle à demi-voix, je me trouve si bien ici !

— Eh bien ! nous y reviendrons, répliqua le vieux potier. Crois-tu que je n’aie pas aussi, moi, quelque regret de m’éloigner ? Quand ma roue tourne et que je vois les grands vases de terre se gonfler sous ma main comme des courges sous les rayons du soleil, j’ai des éblouissemens de bonheur… Mais j’ai fait vœu de voir le Gange et de distribuer quelques centaines de roupies aux pénitens qui habitent ses bords. Puis ce pèlerinage me mettra en renom dans la contrée ; les affaires n’en iront que mieux au retour.

— Et quand partirons-nous ? demanda Palaça.

— Quand tu seras prête, mon enfant ; dès demain, si cela se peut. Je veux prendre la route de terre et me joindre au convoi de chariots qui doit passer un de ces matins.

Les Hindous ne sont pas longs à faire leurs préparatifs. Le lendemain, la cabane était fermée, la roue du potier avait disparu du jardin, et un silence absolu régnait autour de la petite maison déserte. On savait dans le village que le cossever était parti pour un pèlerinage lointain, en compagnie de sa fille ; mais à l’exception des rats palmistes et des corneilles, enhardis par l’absence du maître, les voisins respectaient la demeure du potier. D’ailleurs le cossever exerçait encore, comme tous ceux de sa caste, la profession de rebouteur. Bien qu’il ignorât les premiers élémens de l’anatomie, on s’adressait à lui dans les cas de fracture, et les malades qu’il traitait à sa manière