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les flots avec un sourd mugissement, le sable des grèves refoulé vers la terre s’amoncela en masses compactes, La pluie tomba bientôt par torrens, fouettant les feuilles des arbres et les fenêtres des maisons avec un bruit pareil à celui de la grêle. Les toitures, arrachées par les rafales, tombaient avec fracas ; les cocotiers, ployés en arc, se redressaient à peine quand la dernière feuille de leur vert panache, déchirée par le vent, disparaissait dans les airs avec le crépitement d’un soleil d’artifice. Des montagnes d’écume semblaient battre en brèche les maisons de Madras rangées sur la plage ; le tumulte de la mer en courroux se mêlait aux éclats de la foudre, et quand un éclair, sillonnant l’obscurité profonde, jetait sa lueur électrique au milieu de ce chaos, on croyait voir la terre s’abîmer sous la pression de l’Océan et sous les coups multipliés de la tempête.

La nuit se passa ainsi, nuit d’angoisse et de terreur pour ceux qui tenaient la mer et pour ceux qui se trouvaient en terre ferme. Le jour éclaira bien des dégâts et bien des scènes de désolation. Si de grandes maisons, solidement construites, avaient été en partie ruinées, que pouvait-il rester de la cabane des deux Makouas, pauvre hutte faite de feuilles de palmier enlacées autour de quelques tiges de bambou ? Comme celles de leurs voisins, elle avait disparu, sauf la légère charpente qui avait ployé sans se rompre. Mouillés jusqu’aux os, les deux frères attendaient avec impatience que le soleil, reprenant sa course dans un ciel plus serein, vînt sécher et réchauffer leurs membres engourdis.

— Il est heureux que la pêche ait été bonne hier matin, dit Bettalou en regardant la mer bouleversée par le vent ; d’ici à trois jours, il n’y aura pas moyen de prendre le large.

— Nous sommes ruinés, répliqua Dindigal, la tempête a dispersé les murs de notre cabane aux quatre coins de l’horizon.

— Qui n’a rien n’est jamais ruiné, répondit Bettalou ; il y a assez de feuilles de palmier, semées à travers champs, tout autour d’ici, et avant ce soir nous aurons une maison neuve. Et puis la mer nous jettera peut-être quelque riche épave !

— Des clous et des planches pourries ! reprit Dindigal.

— Qui sait ? dit Bettalou. Dans des nuits comme celle-ci, la mer rend quelquefois ce qu’elle a tenu longtemps caché.

L’aîné des deux Makouas travailla courageusement à recouvrir la cabane, qui fut bientôt remise en état d’abriter ses hôtes. Plus d’une riche maison de Madras devait porter longtemps encore les traces de l’ouragan, et déjà la pauvre hutte, parée de feuilles vertes, reparaissait sur la plage plus solide et plus fraîche qu’auparavant. La mer resta fort agitée pendant plusieurs jours, et les catimarons ne purent prendre le large ; mais les Makouas trouvèrent à s’occuper