Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femmes ; barbouillées de poudre de santal, elles s’enveloppaient avec dignité de l’écharpe légère, rayée de rouge et de blanc, qui dessinait leur taille, et s’avançaient le front haut pour mieux voir briller la perle fine enchâssée dans l’anneau qui pendait à leur nez.

La brillante procession, qui recrutait dans sa marche un grand concours de peuple, barra le chemin aux deux Makouas. — Les brahmanes sont comme les éléphans, dit le plus jeune des deux frères en fronçant le sourcil ; partout où ils passent, ils remplissent la route !

— Nous en serons quittes pour remonter jusqu’à la rue voisine, répliqua Bettalou ; marchons vite.

Ils revinrent donc sur leurs pas et entrèrent dans la première rue qui s’ouvrit devant eux. C’était là aussi que se rendait la procession qu’ils s’efforçaient de devancer. Un pandel ou pavillon de verdure, formé de douze troncs de bananiers coupés à la racine et entrelacés de branchages fleuris, marquait la porte des jeunes époux. Autour du toit et à travers les arceaux de feuillage brillaient des milliers de lampes ; du milieu de cette demeure transformée en un petit palais féerique et tout arrosée d’eau de senteur, il s’élevait un nuage de parfums. Tandis que les voisins et les passans, avertis de l’approche du cortège par le bruit des instrumens de musique, arrivaient en hâte, d’autres curieux, invités de droit à toutes ces fêtes, accouraient aussi en gambadant par-dessus la toiture. Ces derniers étaient de gros singes, — on en compte plusieurs bandes établies dans la ville de Madras, — de vilains macaques fauves, à la face effrontée. Traînant leurs petits par la main ou les portant sur les épaules, ils sautaient sur le pandel, en secouaient violemment les poteaux et se livraient à mille contorsions sans que personne songeât à les chasser. Les singes sont des dieux pour les Hindous, et on dirait qu’ils le savent bien, à les voir pénétrer si hardiment dans les magasins et les greniers pour commettre toute sorte de déprédations et de dégâts. Ajoutez à cela qu’ils se permettent de faire des grimaces fort inconvenantes au passant inoffensif qui s’arrête en les regardant. Une troupe de ces quadrumanes vagabonds se rassemblait donc sur le pandel au moment où les deux Makouas traversaient la rue. Le plus jeune des deux frères, Dindigal, était de fort mauvaise humeur ; le fracas de ces réjouissances, qui contrastaient avec sa pauvreté, l’irrita encore davantage. Il se tourna vers un vieux singe qui semblait le narguer du haut du toit et le menaça du poing en lui montrant sa langue. Le singe riposta par une affreuse contorsion, puis, arrachant un morceau de brique qui se trouvait à sa portée, le lança à la face du pêcheur.

— Ah ! scélérat ! ah ! vaurien ! s’écria celui-ci en saisissant le