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jour. Il se fait alors un grand bruit dans les bazars. Cette population hindoue, dont le cours des siècles n’a guère modifié les habitudes, cette masse d’Asiatiques, hommes, femmes et enfans, les uns vêtus de longues écharpes rayées et de riches étoiles frangées d’or ou d’argent, les autres presque nus, se répand de toutes parts, aux abords des pagodes, dans les rues, sur les places, pareille à ces nuées d’insectes, ceux-ci étincelans comme des rubis, ceux-là ternes et incolores, qui bourdonnent le soir autour des grands arbres. De loin, l’Océan mêle sa grosse voix à ce murmure confus, parlant plus haut du fond de ses abîmes que ces cent mille poitrines humaines. Les deux pauvres Makouas ne brillaient point au milieu de la foule. Les bayadères qui jouaient avec leurs pendans d’oreilles en fumant le houkka sur le seuil de leurs portes ne leur adressaient aucune provocation. En les voyant passer, les porteurs de palanquins qui chantaient à demi-voix, assis à terre les genoux au menton, savourant à leur manière les douceurs du far-niente après les fatigues de la journée, faisaient un geste de mépris et levaient les épaules.

Après avoir traversé la partie la plus animée de la ville de Madras, les deux frères débouchaient sur l’esplanade plantée d’arbres et coupée de boulingrins qui sépare la cité bourgeoise du fort Saint-George. L’aîné, celui à qui le bœuf Nandi avait promis une heureuse destinée, marchait en avant, préoccupé de cette prédiction inattendue dont il cherchait à pénétrer le sens. L’autre suivait son frère à petits pas, honteux et irrité comme un joueur près de qui la fortune a passé sans s’arrêter. Ils allaient ainsi droit devant eux, dans la direction de la plage, quand ils se trouvèrent en face d’une procession qui s’avançait à leur rencontre. C’étaient deux familles de brahmanes célébrant avec solennité les fiançailles d’un jeune couple à peine âgé de sept à huit ans. Les tambourins de toute forme retentissaient à l’envi ; des gens du peuple portant sur leurs épaules des espèces de candélabres et des pots à feu d’où s’échappaient des jets de flammes escortaient à distance le palanquin ouvert et richement orné sur lequel se tenaient étendus les deux enfans que l’on venait d’unir par un lien anticipé. Parés comme des idoles, se souriant l’un à l’autre comme deux colibris éclos dans un même nid, les deux fiancés s’épanouissaient au bruit joyeux de cette fête qui marquait, sous des couleurs trop riantes sans doute, leur entrée dans la vie. Les grands parens couvaient des yeux la pompeuse litière, ravis et presque étonnés d’avoir donné le jour à de si gracieuses créatures. Les cheveux épars sur les épaules, les bras et la poitrine frottés de cendre, les hommes marchaient lentement, rejetant d’un genou sur l’autre les plis de leur pagne, qu’ils portaient flottant et lâche, selon l’usage de la caste brahmanique. Derrière eux se groupaient les