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magistrales ; mais elles séduisent le regard par une largeur élégante dans l’ordonnance et dans l’exécution.

Les compositions que M. Gendron vient de peindre sont au nombre, de douze : elles se développent sur une vaste superficie comprise entre la corniche qui orne les murs de la salle, — assez triste ornement, soit dit en passant, — et le plafond vitré d’où descend la lumière. Dans les quatre compartimens principaux, des figures de femmes volant, enlacées et groupées trois par trois, personnifient les heures du jour ; les huit autres tableaux reproduisent les phases diverses de l’existence humaine, et servent de commentaire à cette image de la fuite des Heures. La peinture de chaque moment de la journée correspond à la peinture des faits successifs que le cours des années amène. L’aurore a pour complément des scènes gracieuses exprimant l’aurore de la vie ; à côté du Matin figure la jeunesse, partagée entre l’activité et l’amour ; les fécondes occupations de l’âge mûr s’accordent avec la force productrice et la beauté pleine du Midi ; enfin l’heure où le jour expire est aussi celle de la mort et du deuil. À vrai dire, on serait mal venu à chercher dans une pareille donnée un sens en rapport exact avec la destination du monument, et nous conviendrons qu’il n’y a rien là qui, de près ou de loin, se rattache aux attributions de la cour des comptes. Toutefois, la salle qu’il s’agissait de décorer étant une salle des pas-perdus, n’y avait-il pas au moins autant d’opportunité à mettre une peinture des Heures sous les yeux des gens qui attendent qu’à leur montrer, suivant la coutume, quelque honnête Thémis, sa balance à la main ? L’idée était en tout cas plus nouvelle, et comme M. Gendron l’a ingénieusement rendue, on ne saurait le blâmer d’avoir adopté un programme conforme d’ailleurs aux inclinations de son talent. Il serait plus juste, à notre avis, de reprocher au style de l’œuvre certaines anomalies qui accusent de la lassitude ou de l’inadvertance. Ainsi les figures personnifiant les heures sont traitées dans un goût mythologique ; les sujets qui accompagnent et expliquent ces allégories ont eux-mêmes un caractère sinon ouvertement profane, au moins assez éloigné du caractère religieux. Pourquoi la Mort est-elle représentée sous les traits d’un ange qui semble détaché de quelque tableau d’église ? Il y a discordance dans ce rapprochement, d’autant moins acceptable que jusque-là l’histoire de la vie humaine s’est déroulée sans l’intervention d’aucun être immatériel, et l’effet qui résulte d’un contraste si inattendu est à peu près celui que produiraient les notes sévères d’un chant sacré au milieu de la musique d’un ballet. Nous sommes à l’aise pour relever cette faute de goût dans le travail de M. Gendron, car les autres parties attestent un goût très judicieux et un remarquable sentiment de l’harmonie. Rien de banal dans l’expression ni dans la disposition des lignes. Le coloris même, tout sobre qu’il est, a une légèreté et une souplesse qui manquaient aux tableaux précédens de l’artiste. En somme, si ces agréables peintures n’obtiennent pas les applaudissemens de la foule, un peu abusée aujourd’hui par l’étalage des procédés, elles méritent certes l’estime et les encouragemens de quiconque préfère la science contenue au pédantisme pittoresque, et l’œuvre d’une pensée délicate aux effigies de la réalité.


HENRI DELABORDE.


V. DE MARS.