Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme membre du conseil d’administration. Cependant le jour approchait où il allait reparaître dans la vie politique : il fut nommé, aux élections de 1846, par la ville manufacturière de Reims, où ses opinions en faveur de la liberté du commerce lui avaient concilié de vives sympathies, membre de la chambre des députés.

Je ne reviendrai pas avec détail sur ces temps douloureux où l’on vit le gouvernement de juillet, au milieu de succès inouis tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, incessamment battu en brèche par une opposition qui avait passé toutes les bornes. Plus que jamais aujourd’hui il est inutile de réveiller ces inconcevables querelles. Léon Faucher n’y prit part qu’à demi ; son goût le portait moins vers les violences personnelles que vers les questions sérieuses. Il traita avec distinction à la tribune quelques sujets spéciaux, et entre autres l’organisation des banques. Il y soutint des idées neuves, contestées alors, qui ont depuis reçu la sanction éclatante de l’expérience. Ce n’était pas malheureusement de ces intérêts qu’il s’agissait : le ministère avait le tort impardonnable, dans ce pays mobile et changeant, d’avoir occupé trop longtemps la scène ; la division se mit dans les rangs mêmes de la majorité, et quand un roi de soixante-quinze ans, fatigué de lutter contre l’injure et la calomnie, eut abdiqué cette couronne devenue trop lourde, tout fut entraîné, gouvernement et opposition, dans une ruine commune.

Je n’écris pas ici un panégyrique, je ne veux rien cacher, rien atténuer. Léon Faucher avait désapprouvé la funeste campagne des banquets patriotiques, qui, sous le prétexte légitime d’une agitation légale, devait soulever tant de passions révolutionnaires ; il avait même nettement refusé, malgré les clameurs soulevées contre lui dans son propre parti, d’assister au banquet de la capitale ; son instinct de gouvernement protestait contre toute connivence avec l’insurrection. Puis, quand il vit la gauche constitutionnelle outragée malgré lui dans la plus ardente résistance, il crut de son devoir de ne pas reculer, et il signa la mise en accusation des ministres. D’autres y verront peut-être le plus beau trait de sa vie : c’est pour moi le seul que je voudrais effacer de cette mémoire qui m’est si chère. Je comprends toutes les divergences d’opinion, et je crois que ce qui nous manque le plus en France pour l’exercice des droits politiques, c’est précisément ce respect de l’opinion d’autrui, si général en Angleterre ; je comprends aussi, pour l’avoir moi-même éprouvée, cette tyrannie de la discipline qui remplace dans les partis politiques la religion du drapeau chez les soldats ; je sais qu’il est des hommes intrépides, et il était du nombre, qui se font un point d’honneur de ne plus raisonner quand il s’agit de payer de sa personne dans un combat ; je sais enfin qu’aux yeux de quelques-uns des signataires, cette fatale démarche n’était qu’une concession apparente pour calmer les esprits irrités et sauver la monarchie : — elle n’en était pas moins un acte injuste, qui précipita la catastrophe au lieu de l’empêcher, et qui restera comme un témoignage des entraînemens où l’ardeur de la lutte peut porter parmi nous les cœurs les plus droits.

De ce jour date la plus belle partie de la vie de Léon Faucher. Quand les anciennes oppositions, un moment englouties dans le naufrage, sentirent le devoir de relever les ruines qu’elles avaient faites, il entra avec sa résolution ordinaire dans cette croisade réparatrice. Dès le 1er avril 1848, un mois