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qu’en y renonçant il abandonnait l’unique fruit du travail de sa vie.

Il se consacra alors presque tout entier aux travaux économiques. Le premier article qu’il ait publié dans la Revue est du 1er novembre 1834. Quelques autres avaient suivi, notamment un travail sur l’état et la tendance de la propriété en France, de la fin de 1836, qui a été souvent cité comme une autorité, soit en France, soit en Angleterre, et un grand projet d’association commerciale entre la France, la Belgique, l’Espagne et la Suisse, qu’il avait appelée l’Union du Midi, et qui devait, à ses yeux, servir de contrepoids à l’association douanière allemande. Il avait aussi publié en 1837, au profit des jeunes libérés, un traité de la réforme des prisons, qui avait justement attiré l’attention par l’originalité des idées et par un profond sentiment d’humanité. Cependant, comme tous les hommes engagés dans la presse quotidienne, il n’avait pu encore produire aucune œuvre de longue haleine qui donnât la mesure de son talent.

Le 1er octobre 1843 parut dans la Revue un article sur White-Chapel qui devait être le premier d’une série, sur l’Angleterre industrielle. Des études analogues sur Saint-Giles, Liverpool, Manchester, Leeds, Birmingham, y parurent successivement, et l’ensemble fut réuni en deux volumes en 1845. C’est là le principal ouvrage de Léon Faucher, le seul que, dans sa carrière agitée, il ait eu le temps de terminer, malgré le travail opiniâtre qui a rempli sa vie. Ce n’est certes pas tout ce qu’il aurait pu faire, et j’ai toujours regretté que la nécessité de chaque jour ne lui permit pas de se recueillir assez pour montrer dans tout leur éclat les qualités vigoureuses de son esprit ; mais enfin c’était une œuvre complète, fruit de longues recherches et de fortes réflexions, remarquable surtout par ce style sobre et incisif qui ne se rencontre qu’avec la gravité de la pensée. Les Anglais eux-mêmes en ont jugé ainsi, et, bien que contesté sur plusieurs points, ce livre, souvent si sévère, est tenu en haute estime par nos voisins.

Vers la même époque, il lut à l’Académie des sciences morales et politiques des recherches sur l’or et sur l’argent considérés comme étalons de la valeur, un de ses meilleurs écrits, un de ceux qui portent le plus la marque d’un génie investigateur et scientifique. Il prenait part à la rédaction du Journal des Economistes, et y écrivait un assez grand nombre d’articles sur les questions économiques du moment, notamment sur nos tarifs de douane, un des objets les plus constans de ses études. Quand l’association française pour la liberté des échanges s’organisa sur le modèle de la fameuse ligue qui venait d’obtenir tant de succès en Angleterre, il en fut un des membres les plus zélés. Il s’y essayait avec succès à l’art oratoire, et ses discours, fortement nourris de faits et d’idées, n’étaient pas les moins applaudis. Malheureusement l’association pour la liberté des échanges, si conforme au véritable intérêt national, tomba dans quelques exagérations qui lui portèrent coup dans l’opinion. Avec son sens exact et pratique, Léon Faucher comprit le premier la portée de ces exagérations, et refusa de s’y associer par une lettre rendue publique.

Ce genre d’études l’avait naturellement appelé à s’occuper de grandes affaires industrielles. De puissantes compagnies s’étaient constituées, à l’instar de l’Angleterre, pour doter la France de l’industrie des chemins de fer. Quand il s’en forma une pour le chemin de Paris à Strasbourg, il en fit partie