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du patriotisme britannique. Sera-ce lord Aberdeen, qui a toujours passé pour incliner vers une politique plus favorable à la paix ? Sera-ce le duc de Newcastle, qui, comme préposé aux affaires de la guerre, aurait à porter la responsabilité de fautes inévitables ? Ce sont pour le moment les deux ministres les plus menacés ; seulement la retraite de ces deux membres du cabinet ne simplifierait nullement la situation. Il resterait une bien autre question : il s’agirait de savoir qui serait chargé de former une administration nouvelle. Serait-ce lord Palmerston ? serait-ce lord John Russell ? Toujours est-il que les débats récens du parlement laissent le cabinet anglais dans les conditions les plus précaires. Si ces discussions ont été vives du reste sur certains points, toutes les dissidences ont disparu, tous les sentimens se sont confondus dans une patriotique unanimité à l’égard de ces héroïques armées auxquelles l’Angleterre et la France ont remis le soin de défendre une grande cause. Il est peu de séances comparables à celle où lord John Russell et M. Disraeli sont venus d’une voix émue prononcer une sorte d’éloge funèbre de ces intrépides victimes du champ de bataille de la Crimée, comme après une autre guerre du Péloponèse. Et s’il est encore des hommes qui demandent à quoi sert la parole humaine dans les affaires publiques, on peut leur répondre qu’elle sert du moins parfois à être l’écho d’un peuple libre honorant par la voix de ses orateurs les plus illustres ceux qui meurent pour sa cause. Le parlement anglais a émis un vote solennel de remerciemens et d’admiration à l’armée française, et le corps législatif à son tour, dans les délibérations intérieures d’une de ses commissions, vient de charger son président d’adresser les mêmes témoignages aux soldats de l’Angleterre. Ainsi se fortifie politiquement l’alliance des deux peuples, comme elle est cimentée chaque jour par ces deux armées qui bravent ensemble le feu, les maladies, les privations, et qui acquièrent dans ces épreuves une telle trempe de courage, qu’elles iraient avec une virile confiance au-devant des luttes les plus inégales.

C’est sur ce terrain d’une action sérieuse et efficace que la France et l’Angleterre ne peuvent manquer désormais d’attendre l’Autriche, dans le cas où la Russie refuserait de souscrire à des conditions acceptées en principe par l’Europe entière, en y comprenant même la Prusse. Le traité du 2 décembre est le point de départ de cette politique nouvelle. Il est aujourd’hui public, et on peut en apprécier la valeur et le sens. L’autre jour, dans le parlement, lord John Russell avait parlé de cette transaction comme d’un acte indifférent ; l’empereur la qualifiait plus justement dans son discours au corps législatif, en l’appelant une alliance défensive qui deviendrait peut-être bientôt offensive. À travers toutes les interprétations qu’on peut donner du traité de Vienne, c’est là en réalité son caractère, et c’est ce qui en fait un acte sérieux dans les circonstances présentes. Le principe d’une alliance offensive et défensive y est évidemment inscrit d’une manière implicite. Que cette alliance, avant de devenir complète et effective, soit sujette encore à diverses conditions, cela est bien clair : qu’on songe cependant que ces conditions sont celles de la France et de l’Angleterre. Sur tous les points qui forment les garanties du 8 août, l’Autriche s’engage d’une façon irrévocable. De concert avec la France et l’Angleterre, elle défend l’intégrité de l’empire ottoman dans les principautés ; d’accord avec les deux puissances, elle fixe une date au-delà de laquelle il ne reste plus que l’emploi de la force.