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de l’ancien régime, il ne pouvait compter sur le même concours de la part de la royauté. L’indépendance du pouvoir civil convient à tous ceux qui le détiennent ; mais la vraie liberté de l’église ne saurait plaire aux gouvernemens aristocratiques ou absolus. Autant nous avons rendu justice à l’ancienne royauté, constituant avec une persévérance infatigable l’intégrité de la puissance civile, autant devons-nous reconnaître le peu de sincérité de son gallicanisme religieux. Elle le proclama, le soutint quelquefois, mais parce que la théorie et la tradition le liaient indissolublement au gallicanisme civil. C’est une arme que les princes se hâtent de remettre dans le fourreau ; elle en sort rarement et furtivement. Ces maximes libérales du gouvernement constitutionnel de l’église ne faisaient point le compte de ceux qui fondaient l’absolutisme royal. Louis XI et François Ier abolirent les plus précieuses garanties de la liberté ecclésiastique, et aucun de leurs successeurs ne la rétablit. Louis XIV, si libéral en 1682, abandonne bientôt la déclaration, et promet à Rome de ne pas la faire exécuter. Après avoir porté bien haut les droits des évêques, il leur conteste en fait leur prérogative la plus inaliénable, celle de juges de la foi ; il les assemble, en 1713, pour accepter la bulle Unigenitus, si funeste à l’église et à la France, et que l’épiscopat libre n’eût jamais subie. On a dit de cet acte de la vieillesse de Louis XIV que « l’autorité royale avait fait violence à la liberté des prélats. » Et qui faisait mouvoir l’autorité royale ? La cour de Rome par la main des jésuites. Asservis à la même influence, les cardinaux Dubois et Fleury laissèrent pénétrer l’ultramontanisme au sein du clergé français.

L’histoire du gallicanisme religieux n’offre donc point le même progrès que celle du gallicanisme civil. C’est à l’origine que se rencontre la plus grande somme de liberté. Toutefois les principes n’ont jamais péri entièrement, les abus ne passèrent point sans protestation : l’espoir d’un avenir meilleur fut conservé à l’église, et le monde catholique dut encore ce bienfait à la France.

L’âme du gouvernement ecclésiastique, ce sont les élections par le concours du clergé et du peuple. Elles rapprochent les différens ordres de l’église, elles y entretiennent l’unité et la fraternité[1]. Pratiquées par les apôtres et, d’après leur exemple, par les fidèles des premiers siècles, elles sont rappelées comme une coutume constante

  1. Nous traitons ici des principes, ce n’est point le lieu de tracer des plans de réforme. Dès les premiers siècles, les formes d’élection, la part respective du clergé et du peuple, paraissent avoir varié, non-seulement d’une époque à une autre, mais quelquefois dans le même temps pour les divers pays. Il est constant que les apôtres établirent une sorte de suffrage universel, et qu’aucun membre de l’église n’était exclu ni des élections ni de l’administration ; mais on voit aussi, dès les premiers âges, l’action du peuple et celle du clergé concourir sans se confondre. Tantôt le peuple choisit les piètres, les évêques mêmes et le pape, et ensuite le clergé confirme et ratifie le choix. Tantôt le clergé propose les sujets capables aux acclamations des fidèles réunis dans la cathédrale. En France, au commencement du moyen âge, la coutume subsistait encore d’assembler de vrais comices populaires, où les anciennes formules nous montrent ensemble les clercs de la ville et de la campagne, les nulles et autres laïques, les moines, les veuves et les vierges. C’est dans une assemblée de ce génie que Hincmar fut élu archevêque de Reims. Le système représentatif, entré aujourd’hui dans nos mœurs, permettrait de régulariser et de perfectionner ces institutions libérales. L’église de Dieu ne tient pas aux formes ; l’essentiel est une la primitive liberté rentre dans son sein, et qu’on obtienne le concours harmonieux de tous les ordres qui la composent.