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c’est-à-dire le droit, sous le couvert des matières spirituelles, de se placer au-dessus des lois et de former à son gré un état dans chaque état. Avec une indépendance ainsi entendue, elle ressaisirait la domination à la première occasion favorable. La puissance publique ne supporte point un tel démembrement : il n’est rien qui échappe à la souveraineté dans les limites de la justice. Le grand et salutaire principe de la séparation de l’église et de l’état ne doit point réduire l’état à l’impuissance. Autre chose est de surveiller les cultes, autre chose de faire des actes de culte, comme c’est autre chose de surveiller l’industrie et le commerce ou d’être commerçant et industriel. Il appartient à l’état, non de faire le commerce, mais de fixer le droit commercial et de le mettre en vigueur. À l’état appartient de même, non la religion, mais le droit religieux, sous lequel on comprend la protection des cultes en général, le maintien de la paix extérieure entre les différens cultes, et au sein de chacun d’eux la garantie de tous les contrats légitimes. Il n’y a là que des actes ordinaires de la puissance civile. Les divers objets que le droit embrasse n’en changent pas la nature, et il faut admettre la compétence universelle de l’état ou le récuser sur tous les points. En vain depuis Grégoire VII tous les théocrates répètent que l’état ressemble à un corps inerte, privé d’un principe propre de mouvement, et qu’il est par conséquent obligé de le recevoir du sacerdoce. La vérité est que si le sacerdoce s’appuie et doit s’appuyer sur une révélation surnaturelle, l’état ne peut et ne doit invoquer que les principes naturels de la raison. En général des esprits, d’où il tire directement les règles de l’immuable justice. Il ne pénètre point dans les consciences, il est renfermé dans l’ordre extérieur et sensible ; mais là il n’a pas moins à garantir les intérêts moraux et religieux que les autres, il leur doit même une protection plus vigilante. L’état embrasse donc, aussi bien que l’église, quoique d’une autre manière, l’homme entier, corps et âme, et il n’est pas plus soumis à l’église que l’église, dans sa mission purement spirituelle, n’est soumise à l’état.

Nos anciens docteurs avaient démasqué les sophismes que l’on reproduit de nos jours avec tant d’assurance, et jamais l’autorité ne s’y arrêta. Elle s’étendit aux choses de la religion sans empiéter sur la religion. Plus d’une fois le pouvoir sévit contre des mandemens séditieux, contre la prédication en chaire de la révolte et de la guerre civile. Les actes de la cour de Rome, ceux même des conciles œcuméniques, étaient soumis à un examen vigilant. Les prétentions ultramontaines se glissaient jusque dans les offices de l’église, par exemple dans celui de Grégoire VII, canonisé du temps de la ligue : on les y poursuivait avec le même zèle infatigable que Rome mettait à les répandre. « Les ecclésiastiques, dit un célèbre canoniste du