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effort de sécularisation, qui, faisant rentrer peu à peu le clergé sous le droit commun, devait aboutir à l’égalité devant la loi. Dès 1561, aux états de Pontoise, les députés du tiers proposèrent une mesure radicale qui entraînait la suppression du clergé comme ordre politique. « Le droit absolu de l’état sur les possessions du clergé y fut posé en principe, et servit de base à différens projets pour l’extinction de la dette publique. Entre deux plans conçus par les treize députés bourgeois, celui auquel ils s’arrêtèrent, et dont ils pressèrent l’adoption, consistait à vendre au profit du roi tous les biens ecclésiastiques, en indemnisant le clergé par des pensions établies selon le rang de ses membres[1]. » Plus de deux siècles devaient s’écouler avant que le vœu du tiers-état fût entendu ; mais du moins, contre les abus d’une situation privilégiée, l’état avait pris ses sûretés et stipulé ses garanties. Les adversaires du gallicanisme les ont dénoncées comme un joug insupportable. Toutefois, si l’on considère que le clergé, avec ses immenses richesses et une partie de la juridiction séculière, formait un ordre dans l’état ; si l’on réfléchit que le chef spirituel de l’église était en même temps un prince temporel, dont les états étaient peu étendus, mais l’influence universelle et les prétentions toujours redoutables, on ne s’étonnera point de la surveillance étroite à laquelle étaient assujettis les ecclésiastiques et surtout les évêques dans leurs rapports avec Rome. Cette surveillance nécessaire ne ressemblait point à une entreprise sur le pouvoir spirituel. Seulement la prudence ne permettait pas de laisser l’exercice de ce pouvoir aussi libre que si le pape et les évêques eussent religieusement observé la règle évangélique, qui leur interdit toute domination civile ou autre.

Qui ne serait frappé d’admiration en voyant la puissance civile en France se constituer avec tant de vigueur et exercer en plein moyen âge les prérogatives essentielles de la souveraineté, que de nos jours encore l’ambition de Rome dispute avec acharnement aux peuples qui s’affranchissent[2] ? Être soumis au droit commun parut toujours à Rome et à ses partisans la plus intolérable des servitudes. Il lui faut la domination, ou tout au moins ce qu’elle appelle l’indépendance,

  1. Augustin Thierry, Essai sur l’histoire du Tiers-État ; Paris 1853, p. 34, 35.
  2. Ainsi le droit inaliénable du magistrat politique sur les mariages fut énergiquement défendu contre tout empiétement. Les ecclésiastiques étaient chargés d’appliquer la loi, ils ne la faisaient pas. Le 16 février 1677, l’avocat du roi Denis Talon fit expressément sanctionner le droit de l’état en cette matière par le parlement de Paris. Dans une lettre écrite le 3 septembre 1712, le chancelier de Pontchartrain soutint les mêmes principes que Denis Talon. L’édit de 1749, intervenu sur les acquisitions des gens de main-morte, consacre une attribution non moins nécessaire de l’autorité civile. En Belgique, en Piémont, en France même, il devient aujourd’hui urgent de faire respecter ces maximes du gallicanisme ou plutôt du droit naturel.