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Dupuy, que les ecclésiastiques français composent seuls le corps de l’église gallicane. Toute la France, c’est-à-dire tous les catholiques français, composent tous ensemble le corps de cette église. » Selon Marca, la dénomination d’église gallicane comprend les laïques et le roi même, ''laicos ipsumque regem comprehendit. Au fond, le gallicanisme embrasse les deux puissances et leurs rapports mutuels. Ainsi que le déclarent les évêques français dans leur circulaire de 1682, « la république chrétienne n’est pas seulement gouvernée par le sacerdoce, mais encore par l’empire que possèdent les rois et les puissances supérieures. » Il est donc essentiel, si l’on ne veut pas se méprendre sur le sens de nos libertés, de bien distinguer les deux faces du gallicanisme, ou ce qu’on peut appeler le gallicanisme civil et le gallicanisme ecclésiastique ou religieux. L’un et l’autre n’ont point eu les mêmes destinées et ne réunissent pas toujours les mêmes suffrages.

L’indépendance du pouvoir civil forme la première des libertés gallicanes. C’est un des fondemens de la civilisation moderne. Il faut rendre cette justice aux rois de France, chargés du dépôt de la souveraineté nationale, qu’ils le préservèrent avec fidélité. Jamais ils ne cédèrent entièrement à la théocratie triomphante : ils la refoulèrent dès que les lumières renaissantes en eurent affaibli le prestige, et jusqu’à la fin ils luttèrent énergiquement pour reconstituer l’intégrité de la puissance politique. Ce long travail des siècles, auquel nos parlemens prirent une part glorieuse, préparait l’entière séparation de l’église et de l’état, condition nécessaire de l’affranchissement des consciences comme de la vraie dignité du sacerdoce, et qui découle si manifestement des principes de l’Évangile. En les soutenant contre l’ambition des chefs de l’église, la France méritait encore son titre de « nation très chrétienne. »

Dès le IXe siècle, lorsque déjà les papes préludaient à une agression ouverte contre l’autorité temporelle, les rois leur opposent ce que Richer appelle la majesté politique. Charles le Chauve déclare au pape Adrien II que « les rois ne sont pas les lieutenans des évêques, » et il le force de renoncer à ses injustes entreprises. Le plus saint à la fois et le plus gallican des chefs de l’ancienne France, Louis IX, élève contre les empiétemens de la cour de Rome la barrière de la pragmatique-sanction, et il déclare, dans ses Etablissemens, « que le roi ne tient de nullui, fors de Dieu et de lui. » C’était une revendication solennelle de la souveraineté. Au fond, le titre de roi par la grâce de Dieu emportait quelque chose de hardi et de libéral. Aujourd’hui les peuples libres, sentant que c’est à eux de ne tenir que de Dieu et d’eux-mêmes, reprennent la souveraineté aux rois, ou la limitent entre leurs mains ; mais il fallait d’abord la constituer