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près de Bloomingdale-Road. Je n’ai pas besoin de vous dire avec quel empressement je me rendis au lieu du rendez-vous. J’arrivai longtemps avant l’heure, et j’attendis impatiemment près de la maison désignée, devant laquelle stationnait une voiture attelée et chargée de bagages, qui partit bientôt. Lorsqu’elle passa auprès de moi, il me sembla en entendre sortir de sourds gémissemens, et mon instinct de mère me dit : C’est ma fille qu’emmène son mari, et qui a voulu saisir l’occasion de voir une dernière fois sa mère.

Une heure après, l’horloge frappa midi. C’était l’heure assignée pour le rendez-vous. Je me précipitai vers la porte, et je sonnai à diverses reprises sans que personne vînt ouvrir. Enfin une jeune femme arriva de la route et se disposa à ouvrir la porte.

— Qui demandez-vous ?

— Miss W…, répondis-je sans songer que ma pauvre fille n’était point connue sous ce nom.

— Il n’y a ici personne de ce nom. Mais vous ne semblez pas bien, madame ; entrez, je vous prie ; je suis sûre que ma maîtresse ne le trouvera pas mauvais.

En disant ces mots, la servante essaya d’ouvrir ; mais, à son grand étonnement, la clé ne tourna pas dans la serrure.

— C’est singulier, dit-elle, il faut que mistress Mason et son amie soient allées se promener, elles ne m’attendaient pas si tôt probablement ; mais je puis passer par la fenêtre, et si vous voulez attendre un peu, je vous ouvrirai.

— Sainte Vierge ! dit-elle en revenant quelques minutes après : la maîtresse est partie, son amie aussi, et le petit, les malles, tout. Je vois maintenant pourquoi on m’avait envoyée à la ville ce matin. — Alors elle me raconta qu’un homme à favoris noirs et au teint brun était arrivé le matin et qu’il avait annoncé aux dames une nouvelle qui les avait fait fondre en larmes, que sa maîtresse lui avait payé les gages qui lui étaient dus, et qu’on l’avait envoyée à la ville sous un prétexte quelconque, afin sans doute de se débarrasser ainsi de sa présence. Du reste la maison était pleine de mystères même pour elle, et elle avait toujours soupçonné que M. et Mme Mason n’étaient pas légitimement mariés, et que la jeune dame son amie avait été également trompée par quelque astucieux vagabond. Je m’en retournai le cœur brisé, mais espérant encore que je reverrais mon enfant, lorsqu’il y a quelques jours je reçus une lettre ainsi conçue : « Celle qui vous écrivit autrefois de ne pas être inquiète sur le sort de votre fille vous écrit pour vous prier de chercher le docteur *** de New-York : c’est lui qui assistait votre fille lors de son dernier accouchement. Je suis entourée d’espions et gardée dans une maison de santé pour les fous, quoique je ne sois pas folle. Je suis étonnée