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d’une sage équité. Pour ne parler que de ce qui concerne les pays de langue arabe, et en supposant un corps de loi assez sagement combiné pour satisfaire tous les intérêts, toutes les croyances, tous les usages des Arabes, ce code pourra-t-il être exécuté ? Et sans entrer dans de plus grands détails, comment attendre des nomades, par exemple, le respect qui lui serait dû ? Aujourd’hui le Bédouin est à Damas; dans un mois, il sera en Mésopotamie. La loi ne pourra donc que très difficilement le saisir.

J’ai dit que les Bédouins devaient être sévèrement cantonnés dans le désert pour le plus grand repos des autres Arabes, et c’est là déjà une chose assez difficile à obtenir sans aller chercher à leur imposer un code de lois qui pourrait blesser les usages, les mœurs, les intérêts que la vie nomade leur a faits depuis tant de siècles. D’autres ont eu à leur égard des projets différens. Un homme qui a occupé et qui occupe encore des fonctions élevées dans l’empire ottoman était d’avis qu’on déclarât la guerre aux Bédouins, afin de leur faire le plus de prisonniers possible; ces prisonniers auraient ensuite été transportés en Chypre, où la population manque au point que sur deux millions d’habitans que cette île comptait autrefois, elle n’en compte plus que quatre-vingt ou cent mille. Certes tout ce qui serait gagné ainsi à la vie sédentaire pourrait être considéré comme acquis à la juridiction d’une législation nouvelle; mais quoi qu’on fît dans cette voie, il resterait toujours des Bédouins au désert, et la difficulté ne serait pas tranchée. Au point de vue politique d’ailleurs, cette transplantation serait-elle un bien ? Peupler Chypre est sans doute une chose bonne de sa nature; mais dépeupler le désert dans une proportion quelconque, c’est ne rien faire : le dépeupler tout entier, si la chose était possible, serait produire un mal incalculable. Le désert, tel que Dieu l’a fait, ne peut être habité que par des nomades, et ne se fait pas nomade qui veut; il y faut l’habitude de tout le corps et de tout l’esprit. Maintenant est-il bien nécessaire que le désert soit habité ? Incontestablement oui, car cette portion si mal connue de l’Arabie se trouve être le plus grand et presque le seul haras de chameaux de l’Asie méridionale. Les tribus bédouines qui viennent camper l’été sur le territoire du pachalik de Damas vendent annuellement de 10 à 12,000 chameaux : 3,000 sont achetés par le Hauran et les autres environs du territoire damasquin; on les loue en grande partie l’année suivante pour le service de la caravane de La Mecque; 2,000 sont achetés pour les besoins de Naplouse, de Jérusalem, de Beyrouth, de Saint-Jean-d’Acre; 3,000 sont achetés par l’Egypte. Comme les femelles ne produisent que tous les deux ans, comme il naît à peu près autant de mâles que de femelles, comme d’un autre côté les Bédouins ne vendent que les mâles, et qu’ils ne les vendent