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se pratique dans le pays, devant une dot à sa future, on fiance les jeunes gens de bonne heure, afin que cette dot puisse, chez les pauvres, être prélevée sur le produit du travail du futur mari, et afin aussi que le mariage se puisse faire tant que les époux sont encore jeunes. La dot consiste ordinairement en une certaine quantité de coton et de laine fixée une première fois, et que le jeune homme envoie à la jeune fille au fur et à mesure des ressources qu’il réalise soit par son travail soit par ses économies. La jeune fille carde ce coton et cette laine, puis les file, et envoie au fiancé le fil produit par ses mains. Le fiancé le fait teindre, ensuite il le tisse et le renvoie en ce dernier état. Voilà comment le ménage se monte peu à peu. Un tel usage a évidemment son côté moral, puisqu’il Porte l’homme au travail ou à l’épargne par un mobile qui prend sa source dans les penchans les plus naturels du cœur, et puisqu’il l’habitue en même temps, dès son jeune âge, à l’abnégation, qui est la première vertu du père de famille.

Il avait paru au patriarche que cet usage si touchant pouvait cependant avoir des inconvéniens, et, sans autre examen, il ordonna que tous les jeunes gens fiancés depuis un certain temps se marieraient sans retard. De là grande rumeur, non du côté des hommes, qui se montraient disposés à obéir, mais du côté des filles : les unes se plaignaient de n’avoir encore jusque-là reçu que la moitié de la dot qui leur avait été promise, d’autres, qui criaient plus fort, n’en avaient reçu que le tiers et même que le quart; mais la raison mise en avant avec le plus de vivacité était que le futur mari, n’ayant encore aucune économie en réserve, serait dans l’impossibilité de faire face aux dépenses qu’entraînent les réjouissances habituelles à l’époque des mariages, et ces futures mères de famille déclaraient tout haut qu’elles aimaient mieux ne pas se marier du tout que se marier sans éclat, sans fantasia, comme on dit dans le pays. Ces détails de dot payée par l’amant, de laine et de coton filés par la jeune fille, tissés ensuite de la main même du futur époux, ont un caractère pastoral et presque biblique qui charme et séduit. Par malheur, ce qui va suivre perd ce caractère et prouve qu’à côté des traditions antiques se sont glissées en Orient des habitudes d’esprit moins touchantes.

Irrité des refus qu’on lui opposait, le patriarche envoya saisir deux ou trois des jeunes filles les plus récalcitrantes et se les fit amener par force, mesure qui, en effrayant les autres, les porta à prendre un parti extrême, car toutes allèrent chercher un refuge dans les montagnes. On décida alors dans les conseils de l’archevêque qu’on ferait arrêter les pères et à leur défaut les mères des fugitives, et qu’en cas de nécessité on recourrait aux rigueurs les plus sévères