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remplir ses devoirs de famille. Elle répliqua qu’elle avait subi une assez longue et assez humiliante attente pour ne plus vouloir entendre parler de ses parens. Il Mais, ajouta le pacha, songez au sang que vous allez faire répandre. — Du sang!... interrompit-elle avec une expression terrible, du sang!... Eh! que m’importe ?... D’ailleurs plus il en sera versé, plus mon opprobre sera lavé. » Et là-dessus elle partit. Le dénoûment de ce drame est resté inconnu; mais tout Porte à croire que le désir de la jeune fille a été satisfait.

Les sultans ont pris pour règle invariable de conduite politique le respect de l’indépendance municipale des peuples conquis, et ce respect a été porté au point que chaque nationalité, quelque faible qu’elle soit, est devenue comme une sorte de république au milieu de cette monarchie absolue par excellence que l’on appelle la Turquie. C’est là ce qui explique l’existence politique tout à fait anormale des Bédouins, car si les sultans l’eussent voulu, avec les grandes armées dont ils disposaient à une autre époque, ils seraient venus à bout des Bédouins, qui ne sont point musulmans, et les auraient peut-être effacés de la liste des peuples. Cependant les nationalités chrétiennes elles-mêmes, si l’on peut parler ainsi d’Arabes qui sont restés fidèles à l’Évangile, ces nationalités, dis-je, ne sont pas moins libres en fait que les nationalités bédouines, car elles sont administrées par leurs évêques, qui jouissent à cet égard de droits qu’on ne supposerait assurément pas, et dont pour cette raison il est bon de donner une idée.

Parmi les patriarches des divers rits chrétiens, il en est un qui, par sa nature inquiète et parfois hautaine, a plus que tout autre peut-être donné la preuve de la grande somme de pouvoir administratif abandonnée par les sultans aux chefs des diverses municipalités de l’empire. Ce patriarche entreprit, à l’époque où je séjournais en Syrie, une visite pastorale dans les divers villages et dans les diverses villes de son diocèse; on le vit cheminer pompeusement au milieu de pays musulmans pour la plupart, accompagné d’une suite qui comptait deux évêques et huit prêtres. Le premier village où le patriarche s’arrêta lui fit une véritable ovation : la fusillade éclatait en son honneur, on baisait ses mains, on lui portait les petits enfans pour qu’il les bénît; mais cette joie fut courte, et l’on vit bientôt éclater d’autres sentimens.

Dans les villes et les villages de la Syrie, principalement chez les chrétiens, il est d’usage, comme dans certaines parties de l’Europe, que le mariage soit précédé d’un acte religieux connu sous le nom de fiançailles; mais, contrairement à ce qui se pratique en Occident, l’intervalle de temps qui s’écoule entre les fiançailles et le mariage est de quatre et quelquefois de six années. Le fiancé, d’après ce qui