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de stationner ici à cette heure de la nuit. Es-tu prêt à me suivre et à obéir à la requête contenue dans le billet ?

Je restai muet d’étonnement. — Une quakeresse ! poursuivis-je. Il vous arrive parfois de singulières aventures.

— Je n’entends pas ce que tu dis, continua la personne mystérieuse. Dis-moi honnêtement si tu veux me suivre, oui ou non ?

— Oui certainement, je vous suivrai.

Comme je disais ces mots, il me sembla entendre un petit rire ironique sortir du voile par trop discret qui recouvrait la figure de la femme. Toutefois elle marcha très vite, et je la suivis jusqu’au bout de la rue, où nous trouvâmes une voiture particulière qui nous attendait. Le cocher était évidemment, un domestique, car je pus voir les boutons de sa livrée briller au-dessous du grossier manteau dont il s’était affublé. Il ouvrit la porte de la voiture et y fit monter la jeune femme avec un respect qui me prouva aussitôt qu’elle n’était point une servante. — Peut-être, pensai-je, est-elle une amie de l’auteur du billet ? peut-être est-elle cet auteur même ?

— Monte, je t’en prie, dit-elle lorsqu’elle fut assise. Le cocher s’approcha de la portière, elle lui chuchotta quelques mots à l’oreille, et pendant qu’il se disposait à monter sur son siège, elle se tourna vers moi et me dit : — Je vais baisser les stores. Il faut que tu saches que, pour des raisons que tu connaîtras plus tard, le secret est nécessaire en toute cette affaire. Par conséquent je ne désire pas que tu connaisses la route que nous suivons.

Je ne fis aucune objection, car après tout il ne pouvait m’arriver beaucoup de mal ; ma compagne était jeune et, selon toute probabilité, jolie ; le cocher était un domestique alerte et intelligent. Aussi m’écriai-je à demi-voix : — Il ne peut pas résulter grand mal de cette aventure.

— Du mal ! répliqua la jeune femme, il en résultera beaucoup de bien au contraire. Tu ne dois pas me craindre beaucoup, moi, pauvre créature fragile.

Et il me sembla entendre de nouveau le même malicieux petit rire, étouffé à grand’peine, sortir de dessous le voile.

— Non, répondis-je, je n’ai pas peur ; néanmoins il est toujours bon de savoir où l’on va.

À ce moment, la voiture roulait très vite, et pendant plus d’une demi-heure le bruit des roues m’avertit que nous n’avions pas quitté la ville ; puis, le mouvement devenant plus doux et le bruit plus sourd, je m’aperçus que nous étions en pleine campagne. Enfin le cocher s’arrêta, ouvrit la portière et nous fit descendre.

Je regardai autour de moi avec une curiosité bien pardonnable, mais je ne pus reconnaître l’endroit où j’étais. Ma compagne de route