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plus abondantes. Puis, en accumulant les neiges de l’hiver sur les sommets du Liban et de l’Anti-Liban, il en forme, pour une partie au moins de la saison chaude, comme de grands réservoirs d’humidité. Un autre avantage du vent d’ouest, c’est qu’il entretient pendant l’été au-dessus du Liban un voile nuageux qui restreint l’évaporation et y conserve à la terre une fraîcheur bienfaisante. Néanmoins, même dans cette région privilégiée de la Syrie, il est merveilleux de voir avec quel soin la moindre source est mise à profit, avec quelle attention les veines d’eau qui suintent sous le sol sont réunies dans des bassins propres à répandre ensuite l’irrigation sur les terrains en culture. En remarquant de semblables citernes pratiquées jusque sur les flancs du Liban et destinées, pour le plus grand nombre, à arroser des plantations de mûriers, je ne pouvais m’empêcher de me rappeler ce passage de Salomon dans l’Ecclésiaste : « J’ai creusé des réservoirs pour arroser la forêt de mes jeunes arbres. » De notre temps et dans nos pays humides, il se rencontre parfois de mauvaises gens qui, ayant une vengeance à exercer, coupent, détruisent les arbres qui enrichissent la propriété de leur ennemi. En Orient, on détruit les retenues d’eau, ou l’on comble le puits dont l’eau arrose la terre de son ennemi : on est certain alors que le vent de la désolation ne tardera pas à passer sur cette terre et la brûlera. N’est-ce pas ainsi que les Philistins agirent à l’égard d’Isaac ? «Les Philistins, dit la Bible, comblèrent tous les puits qu’avaient creusés les serviteurs d’Abraham. Sur cela, Isaac s’éloigna et vint au torrent de Gérare pour y habiter.» L’Orient est le pays de l’immutabilité, rien n’y change. Les faits bibliques s’y reproduisent chaque jour aux yeux de ceux qui y séjournent.

Dès l’antiquité, les Arabes ont possédé une législation savante et sage sur les cours d’eau. Les jurisconsultes musulmans, à leur tour, ont cherché à fixer le droit de propriété sur les ruisseaux et sur les sources, car il importait plus encore dans ce pays que partout ailleurs de prévenir des conflits dont la première conséquence aurait été de compromettre le bienfait de la découverte d’une source ou de l’utile emploi d’une eau courante. Même au désert, chez le nomade que gouverne seule la loi naturelle, il y a des usages relatifs à la possession, quoique momentanée, des flaques d’eau provenant des pluies de l’hiver, et souvent on voit deux tribus en guerre recourir à la trêve de Dieu pour pouvoir user en même temps d’eaux voisines l’une de l’autre jusqu’au jour de l’épuisement de ces eaux, après quoi la guerre recommencera, s’il y a lieu. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence n’a pas toujours assez nettement réglé le droit de chacun, ou du moins le désir de posséder l’eau dont la terre a besoin est si grand, qu’il n’est sorte de ruse dont on ne fasse usage pour