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et M. Sidney Herbert d’un côté, et de l’autre lord John Russell, lord Lansdowne et lord Palmerston, avait été de consolider à perpétuité la grande révolution économique accomplie par Robert Peel, et de la mettre pour jamais à l’abri de toute réaction. Ce but une fois atteint, la cause première de la coalition de toutes les nuances libérales cessait d’exister, et tôt ou tard les élémens hétérogènes qui composaient le gouvernement devaient reprendre leur cours. Par un hasard dont on était loin alors de prévoir les suites, la distribution des départemens ministériels, s’était faite de telle façon, que les représentans les plus spéciaux des idées pacifiques se trouvèrent chargés de la direction de la guerre. Le duc de Newcastle, M. Sidney Herbert et sir James Graham étaient à la tête des départemens de l’armée et de la marine, et M. Gladstone avait à pourvoir au budget de la guerre. Lord John Russell rongeait son frein et s’amusait à présenter, au milieu de l’indifférence universelle, un projet de réforme électorale qu’il devait retirer en pleurant ; lord Palmerston consacrait ses brillantes facultés à des questions de grande voirie et de législation fumivore. Quel qu’ait été l’enthousiasme belliqueux manifesté en Angleterre par les différentes classes de la nation, on peut dire que le gouvernement et même le parlement ne furent amenés à la guerre qu’à leur corps défendant. Ni l’un ni l’autre n’avaient été nommés dans cette intention, et c’est même pour cette raison qu’aujourd’hui encore le parlement est incapable de répondre aux exigences qui lui sont imposées. L’un et l’autre s’embarquaient dans la guerre comme dans une entreprise ingrate dont ils désiraient sortir le plus tôt possible. S’ils l’avaient faite de bon cœur et avec passion, ils auraient au moins cherché à la présenter sous les couleurs les plus populaires, et ils se seraient, comme au beau temps de Pitt, jetés dans la voie des emprunts. Au lieu de dorer la pilule, ils s’attachèrent à la rendre le plus amère possible ; ils s’adressèrent directement aux poches des contribuables, et, au lieu d’augmenter la dette de la postérité, ils doublèrent les taxes des contemporains. Nous nous souvenons que, quand le gouvernement proposa de doubler la taxe directe de tous les revenus personnels, lord Aberdeen et M. Gladstone déclarèrent ouvertement dans les deux chambres que leur but était de faire comprendre à la nation les durs devoirs qu’imposait la guerre, qu’on était trop porté à se jeter dans les aventures quand on en faisait supporter le poids à l’avenir, et qu’il fallait que la génération présente sût à quoi elle s’engageait. Ce ne fut donc point le gouvernement qui, en Angleterre, entraîna le pays à la guerre : tout au contraire il y fut lui-même entraîné par ce qu’on appelle en anglais pressure from without, la pression du dehors. C’est la différence qui a, dès le début, caractérisé les dispositions