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les ténèbres aussitôt que le génie de la Grèce et de l’Italie a cessé de l’éclairer, qu’enfin il a fallu de nos jours un Richelieu pour faire sortir Odessa de terre et y attirer du dehors une population capable de tout animer autour d’elle. Il importe à la véritable Europe d’extirper la barbarie d’un pays si voisin et si bien placé pour être puissant, d’y implanter d’autres sentimens et d’autres intérêts que ceux qui jetaient sur elle les hordes d’Attila. Le mouvement que le percement de l’isthme de Suez doit imprimer à tout le bassin de la Méditerranée est un des moyens d’atteindre ce but. Un immense agrandissement des villes maritimes de la Russie méridionale et un grand nombre de fondations nouvelles en seront les conséquences infaillibles. La raison d’être de ces sociétés déterminera la composition de leur population; elles seront bien moins des cités moscovites que des colonies grecques, italiennes, bataves, anglaises, allemandes, suisses. Le despotisme de la Russie, l’hypocrisie ambitieuse de son orthodoxie, les habitudes de rapine de ses agens se sentiront dépaysés dans un pareil milieu : les villes maritimes feront rayonner autour d’elles des lueurs de dignité humaine qui ne seront pas toutes perdues, peut-être même les avantages financiers attachés à leur prospérité et l’écho qu’elles donneront aux voix intelligentes de la Courlande, de la Livonie, de l’Esthonie et de la Finlande feront-ils remonter jusqu’à Saint-Pétersbourg des notions de droit international qu’on ne méconnaît jamais impunément.

Depuis quarante ans, les intérêts des peuples mieux compris, l’application de la vapeur à la locomotion, l’extension du commerce de nation à nation ont effacé les distances au moral aussi bien qu’au physique, et un travail lent opéré dans les entrailles de la société a pour la première fois véritablement constitué l’occident de l’Europe pour la paix. La Russie s’est seule tenue en dehors de ce mouvement de la chrétienté : son gouvernement ombrageux au dedans, cauteleux au dehors, tient avec raison ses frontières fermées, persuade aux princes d’Allemagne qu’il n’y a de sûreté pour eux que dans sa dépendance, et n’emprunte à la civilisation que des instrumens de guerre et d’asservissement. Ce sont ces deux systèmes qui se heurtent sur les bords de la Mer-Noire, et le mal vient de trop loin pour être aisément déraciné. La guerre ne suffira point à cette œuvre : elle rendra le terrain libre; la paix et le temps y pourront seuls édifier, et si le changement de la direction du commerce fait grandir sur les frontières méridionales de la Russie un foyer de richesse et d’intelligence qui contrebalance des influences pernicieuses, ce ne sera pas pour l’empire entier un moindre bienfait que pour le reste de l’Europe.

C’est d’ailleurs bien moins dans la destruction de la marine