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l’Europe du Maroc; Majorque et le Port-Mahon occupent le centre de la Méditerranée citérieure, et Barcelone en est une des principales places de commerce. Il a fallu bien des fautes et des malheurs pour faire déchoir un pays ainsi doué du rang de grande puissance maritime, et les occasions d’y remonter ne sont sans doute pas ce qui contribuerait le moins à sa régénération politique. Dépouillée de ses colonies du continent américain, menacée dans la possession de Cuba et de porto-Rico, l’Espagne doit s’attacher davantage aux Philippines, ce royaume d’une inépuisable fertilité, dont l’étendue égale les deux tiers de la sienne propre. Le percement de l’isthme de Suez l’en rapprocherait de 4,000 lieues, c’est-à-dire de moitié, et l’archipel indien n’est exposé à aucune des éventualités que les hommes d’état de la péninsule ont à prévoir dans les Antilles.

Appuyée sur Marseille, Toulon, la Corse, l’Algérie, maîtresse, sur le revers méridional de l’isthme de Suez, de l’île Bourbon, de Pondichéry, de plusieurs points importans de Madagascar, la France est encore plus intéressée que l’Espagne à l’abréviation des distances qui la séparent du monde indien. Si ses possessions dans cette partie du globe sont beaucoup moindres, ses moyens d’action sont beaucoup plus puissans. Malgré le voisinage et la réciprocité de ressources et de besoins qui naît de la différence des latitudes, nous sommes presque absolument étrangers au commerce de la Mer-Rouge. Ce commerce deviendra l’une des principales branches de la prospérité de nos ports du midi; l’Arabie-Heureuse et l’Abyssinie leur ouvrent un champ d’échanges à peine exploré de nos jours, mais dont les témoignages de l’antiquité signalent l’étendue, et leur navigation avec ces contrées n’exigera ni plus de temps ni plus de capitaux que le cabotage avec nos ports de la Manche. Cependant c’est surtout comme route de la mer des Indes que l’ouverture de la Mer-Rouge nous importe. L’esprit des expéditions lointaines se développera chez nous, lorsque, devançant dans ces contrées ceux qui nous y devancent aujourd’hui, nous serons affranchis des gênes, des incertitudes et des dangers des voyages actuels. Les intérêts métropolitains ne sont d’ailleurs pas les seuls que nous ayons à protéger sur la route du golfe Arabique. Le voisinage du passage de Suez sera pour l’Algérie ce qu’est l’apposition d’un chiffre près d’un autre. Dans un pays qui forme, entre les sables du désert et les flots de la Méditerranée, une bande de 250 lieues de longueur, la navigation est le ressort le plus énergique de la civilisation, le moyen le plus sûr de l’associer, sans froisser ses mœurs, à nos intérêts et à notre politique. La race arabe a de tout temps eu des instincts nautiques. L’histoire de sa marine est au moyen âge celle de la grandeur et de la décadence du nord de l’Afrique. Lorsqu’elle s’établissait, du