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Ces rapprochemens ne comprennent que quatorze ports; mais il est facile d’en faire l’application aux lieux intermédiaires. En résumé, les abréviations de traversée seront :


Pour les ports de la Baltique, de 7.040 milles ou 46 jours sur 100
— de l’Océan, de 9.851 50
— de la Méditerranée, de 7.094 65

Ces faits si simples entraînent après eux des conséquences incalculables, et la première qui s’offre à l’esprit est le nouvel horizon que l’accélération des voyages de l’Inde doit ouvrir à la multitude des navigateurs qui en sont exclus de fait. Si la durée des expéditions est réduite du tiers ou de moitié, il devient évident que le navire, l’équipage et le capital avec lesquels on peut en faire aujourd’hui deux en feront trois dans un cas, quatre dans l’autre : des armemens qui, par la longue attente des retours, n’étaient accessibles qu’à des capitalistes puissans, seront à portée de concurrens plus humbles et infiniment plus nombreux. Les frais de transport baisseront moins encore par suite de cette affluence de nouveaux agens que par l’effet de la multitude de combinaisons imprévues qui naîtront de la libre admission du grand nombre dans une sphère où régnait la moins respectable de toutes les aristocraties, celle du capital. Le prix des denrées coloniales se réduira dans de notables proportions, et nous marcherons ainsi vers cette condition désirable où des consommations qui sont aujourd’hui le privilège de la richesse ou de l’aisance seront accessibles à la pauvreté; le sucre, par exemple, se tirerait de l’Inde au prix du pain. Si les gouvernemens calculent quelle masse de travail, quelle activité maritime, quelle abondance de vie et de santé, quelles ressources financières assureraient à l’Europe ces conséquences immédiates de l’abréviation de la route de l’Inde, ils y verront certainement quelque chose de plus élevé qu’une pâture à jeter à la Bourse.

Quoique par les routes actuelles les produits de l’Inde soient près de trois fois plus éloignés des marchés d’Europe que ceux du Nouveau-Monde, ils leur en disputent la possession : le coton de l’Hindoustan alimente les manufactures de Manchester avec celui des États-Unis, et la Hollande apporte le sucre et le café des îles de la Sonde à côté de ceux des Antilles et du Brésil. C’est que les avantages de la proximité peuvent être balancés par d’autres. Le sol est en effet bien plus fécond et les moyens de culture bien plus puissans dans le midi de l’Asie qu’en Amérique. Quel que soit, à d’autres points de vue, le jugement à porter sur l’affranchissement des noirs dans les colonies britanniques et françaises, il est impossible de méconnaître la portée du coup qu’en a reçu la production. Aux Indes, au contraire, les cultivateurs sont les indigènes; les