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porte n’est point un effet de circonstances accidentelles. La configuration de l’ancien continent a fait de ce bassin si vaste, et dont les diverses parties sont pourtant si bien à portée les unes des autres, le centre géographique de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique; le génie des races qui peuplent ses bords en a fait le foyer de l’intelligence humaine, et les caractères des races ne changent guère plus que les formes des continens. Depuis soixante années, les coups précipités des événemens, les découvertes plus efficaces encore de la science et de l’industrie ont réveillé l’Orient d’un sommeil de plusieurs siècles. Les armes françaises, en brisant en Égypte la tyrannie des Mameloucks, en écrasant dans son nid la piraterie barbaresque, ont rouvert dans l’intérieur de l’Afrique les routes antiques du commerce, et donné à la navigation de la Méditerranée la sécurité nécessaire à son développement. La machine à vapeur et le télégraphe électrique entrelacent ensemble le monde chrétien et le monde musulman. La renaissance de l’Orient n’a plus d’autres ennemis que les convoitises démasquées de la Russie, et la mer qui, lorsque les deux tiers de ses rivages étaient livrés à la barbarie, a été le théâtre des plus grands progrès de la société, s’apprête à rentrer tout entière dans le domaine de la civilisation.

Ce sont là de hautes destinées, et pour en atteindre de plus hautes encore, une seule chose manque à la Méditerranée : c’est d’être ouverte à l’est sur la Mer-Rouge et la Mer des Indes, comme elle l’est à l’ouest sur l’Atlantique. Derrière l’isthme de Suez est tout un hémisphère essentiellement différent de l’Europe par son climat, ses productions, ses besoins, ses mœurs, ouvrant par conséquent à celle-ci un champ d’échanges qui n’a de limites que dans la lenteur et la difficulté des transports. Les navires de l’Europe ne communiquent avec les Indes que par un détour dans lequel ils vont reconnaître les côtes du Brésil et doubler le cap de Bonne-Espérance, et, — à prendre l’île de Ceylan pour centre de la navigation de l’Océan Indien, — la longueur moyenne de ce trajet est de 6,900 lieues. Le percement de l’isthme de Suez par un canal maritime la réduirait à 3,200. Une abréviation de 3,700 lieues serait donc acquise à toutes les relations maritimes de l’Europe avec les Indes et les contrées situées au-delà, comme la Chine et l’Australie.

Tel est l’intérêt qui recommande à l’attention générale la grande entreprise dont nous voudrions ici exposer les moyens d’exécution et les conséquences probables. On voit ce que notre sujet a de complexe. Après avoir expliqué, d’après l’expérience des anciens et les études des modernes, les conditions matérielles de l’établissement du canal de la Méditerranée à la Mer-Rouge, il faut indiquer les principaux résultats économiques et politiques qui semblent se rattacher