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villages, fort rapprochés les uns des autres, n’ont rien de commun avec les cités ouvrières; ces dernières sont pour ainsi dire la propriété de la mine, dans le voisinage de laquelle une volonté prévoyante les a construites. C’est surtout au couchant de Mons qu’il faut étudier cette organisation particulière aux charbonnages. La cité ouvrière du Grand-Hornu est, en quelque sorte, une utopie bâtie en pierre. Sur 2,400 hommes employés dans l’usine, dans la fabrique de sucre et dans la mine, 1,000 environ sont logés par l’établissement. La première fois que nous visitâmes cette ruche industrielle, ou, pour mieux respecter la couleur locale, cette fourmilière, nous ne savions plus au juste dans quel pays nous étions. A la vue des immenses ateliers de travail, véritables édifices publics, des rues tirées au cordeau, des grandes lignes de maçonnerie qui se marient aux grandes lignes de verdure, de 435 maisons qui, extérieurement, se ressemblent toutes, et ne diffèrent entre elles que par des numéros d’ordre, nous nous crûmes transporté dans l’Icarie de M. Cabet. L’uniformité des rues et des maisons, toutes composées d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage, s’associe avec l’uniformité des ameublemens, des costumes, des mœurs, des conditions sociales, j’oserais presque dire des figures. Chaque maison a son jardin de la même grandeur et planté à peu près des mêmes arbres que le jardin du voisin, dont il est séparé par une haie ou par un mur. Une boucherie commune débite environ 1,200 kilogrammes de viande par semaine, dont moitié et au-delà pour la nourriture des chefs et des employés, le reste pour les ouvriers. Le boucher n’est point un marchand, c’est un fonctionnaire dont les services sont rétribués à tant par jour; la viande est livrée au prix de revient; on abat des bêtes de premier choix.

Une grande place, encadrée d’une guirlande de fer et au milieu de laquelle s’élève un kiosque, sert les jours de fête de lieu de réunion et de salle de concert en plein vent; une société de musique, composée d’employés et d’ouvriers, exécute, non sans goût, des airs qui font oublier les fatigues de la semaine. Au milieu de cette communauté d’habitations, de travaux et de plaisirs, il fallut la vue d’une élégante maison particulière et de quelques autres demeures qui se distinguent par des ornemens intérieurs, pour nous rappeler que nous n’étions pas dans le royaume de l’égalité absolue. L’architecture tranquille et monotone de cette cité correspond avec les habitudes spartiates d’une population ouvrière dont les devoirs sont réglés par une discipline commune, dont les occupations sont les mêmes, dont les salaires, quoique inégaux, ne donnent point lieu à une grande variété de dépenses ni à une grande différence de bien-être. Pendant que les hommes travaillent dans la fosse, les