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ouvriers mineurs ont marché dans une voie de progrès[1] ; mais cet accroissement est-il en rapport avec le développement de l’industrie houillère et avec l’augmentation du prix des subsistances ? Si l’on prend le soin d’établir cette proportion, on trouvera que le sort des ouvriers employés dans les charbonnages mérite toute la sollicitude des économistes. La main-d’œuvre est chère, mais le prix des objets de consommation est exorbitant : cette élévation des tarifs tient, en ce qui touche les denrées alimentaires, à des causes universelles et à quelques causes locales. Dans les trois provinces belges où se trouvent concentrés les charbonnages, l’agriculture ne vient qu’en troisième ou en quatrième ordre, après toutes les autres industries. La terre n’occupe, à sa surface du moins, que les enfans disgraciés : tout ce qui est jeune, entreprenant, vigoureux, actif, descend dans les mines ou travaille aux fabriques; il en résulte un appauvrissement de produits naturels qui réduit de beaucoup la richesse industrielle du travail, et qui ramène trop souvent la misère au sein d’une prospérité factice. Si l’on tient moins compte de l’échelle des salaires que de l’accroissement du bien-être, on trouve que le sort des ouvriers employés dans les charbonnages est resté à peu de chose près stationnaire et voisin de la médiocrité.

Pour avoir une idée complète de la vie du mineur, il faut entrer dans son habitation, s’établir au coin de son feu. Parmi les individus attachés aux charbonnages, les uns demeurent dans les villages voisins des mines, et logent çà et là, où ils peuvent; d’autres sont au contraire rassemblés dans des cités ouvrières. Ces villages de charbonniers ont quelquefois des airs de petites villes; l’hiver, ces maisons couvertes en tuiles, souvent en chaume, ces paysages à la neige et au charbon, ces toits d’églises autour desquels pendent des glaçons d’une forme et d’une couleur douteuses, font une assez triste figure; mais au printemps, quand la giroflée fleurit entre les crevasses du mur, quand le coq chante, quand les enfans, — le charbonnier a beaucoup d’enfans, — jouent pêle-mêle sur le devant des portes, quand les mères grondent et caressent à la fois cette joyeuse couvée, quand le pâle soleil wallon jette un sourire entre deux nuages, alors toute cette nature s’égaie au souffle du travail et de l’industrie. Des villages entiers s’élèvent sur un sol miné à 5 ou 600 mètres de profondeur; les femmes, les enfans, ont leur mari, leur père qui travaillent sous leurs pieds; les arbres se couronnent de fleurs et se chargent de fruits, sans se soucier des voies ténébreuses qui s’entrecroisent sous leurs racines. Ces groupes de

  1. En général les enfans gagnent 1 fr, les jeunes gens 2 fr, les mineurs 3 ou 4 fr. par jour.