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ainsi que la flore du terrain houiller présente les traits reconnaissables d’une flore insulaire. En présence de ces faits, consignés dans les archives de la terre, la Belgique actuelle s’efface, l’Europe s’efface, la mappemonde s’efface, et nous voyons sortir du voile obscur des houillères une ancienne constitution du globe. En ce temps-là, les pays dont nous habitons la surface étaient encore sous l’eau. Un vaste océan tacheté d’îles occupait la surface de notre monde. Les hautes montagnes qui forment aujourd’hui les principaux reliefs de l’Europe, les Alpes, les Pyrénées, les Apennins, le Jura, n’existaient point, ou du moins elles étaient pour ainsi dire étendues au fond des mers dont elles constituaient le lit. D’autres chaînes de montagnes sous-marines, dont les crêtes venaient s’épanouir à la surface des eaux en autant de petites îles, traçaient les seules inégalités qui contrariassent alors le niveau du monde primitif. De ces faits généraux, la trace est conservée dans les pages hiéroglyphiques sur lesquelles la terre a gravé son histoire. Le calcaire, qui, en Belgique, comme nous l’avons vu, sert de base au terrain houiller, qui s’étend par larges bandes dans toute l’Europe, qu’on retrouve au Canada et dans les États-Unis d’Amérique, est évidemment d’origine marine : c’est le lit d’un océan effacé, car eux aussi, les océans meurent.

Entre l’ancienne configuration de la terre et l’état présent des choses, il ne peut y avoir lieu à des termes de comparaison exacte : la flore carbonifère ne ressemble qu’à elle-même, et cette originalité de physionomie botanique est une preuve de l’originalité des causes au milieu desquelles l’antique végétation s’est développée. On retrouve néanmoins dans les îles des tropiques et dans quelques îles du Grand-Océan des forêts de fougères vivantes qui, par l’élévation des tiges et par la forme arborescente, se rapprochent des anciennes fougères éteintes, lesquelles constituent, comme nous l’avons vu, le caractère essentiel de la flore houillère. Il est naturel d’en conclure que si quelque chose dans le monde actuel ressemble à la géographie du monde primitif, c’est l’Océanie. Otaïti, les Sandwich, même la Nouvelle-Zélande, étant les endroits du momie présent sur lesquels le règne végétal s’éloigne le moins des types de l’âge carbonifère, nous sommes fondé à croire que ces îles sont en quelque sorte des continens arrêtés aux principaux traits géographiques de l’ancien état du globe. Un voyage dans les mines de houille est, à quelques égards, un voyage dans les pays actuels où la température se maintient chaude, humide et uniforme pendant toute l’année, où la flore locale est abondante et excentrique, où les animaux sont très rares, surtout les mammifères, où la terre en un mot se souvient plus qu’ailleurs des conditions de son enfance. Ce qui est maintenant un climat a été un âge de la nature.