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petites profondeurs, cet agent mystérieux causait peu d’accidens; mais quand les fouilles souterraines eurent pris plus de développement, quelques explosions faibles et partielles survinrent. Cette cause occulte qui frappait de mort fut d’abord un objet d’épouvante : on crut à une vengeance de la terre, qui voulait punir l’homme pour pénétrer si avant dans le secret des formations intérieures. La classe des mineurs est ignorante et crédule; la nuit est mère des fantômes, des superstitions et des rêves. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les effets du grisou aient été attribués, dans les commencemens, à la présence d’un génie surnaturel et malveillant. Aujourd’hui, grâce aux progrès de la chimie, le mineur sait du moins à quoi s’en tenir sur la nature de l’ennemi contre lequel il doit lutter : le grisou est un gaz hydrogène protocarboné. Ce gaz inflammable se dégage en quantité inégale des veines de houille et des roches encaissantes. « Dans certains cas le grisou pénètre la mine, dit un ingénieur belge, comme l’eau pénètre une éponge. » Rien n’égale d’ailleurs la perfidie de ce gaz, dont l’odeur est agréable, qui forme autour des lumières un beau nimbe bleuâtre, que l’œil touche, pour ainsi dire, sous l’apparence d’un réseau de fils de la Vierge. Ses effets sont terribles. Au contact d’une bougie, l’atmosphère s’enflamme et détonne avec un bruit effroyable : les toits de la mine, les boisages, les murs sont ébranlés, brisés ; des éboulemens surviennent. Quelquefois les ouvriers exposés au jour entendent d’abord un sourd mugissement, puis ils voient apparaître une colonne de flamme livide; des fragmens de bois et de roches sont projetés à d’assez grandes distances; un nuage épais de houille en poussière sort et obscurcit tout. On dirait que l’homme se soit donné le dangereux pouvoir de faire des volcans. À ce bruit, femmes, enfans, amis, tout ce qui a du monde dans la fosse accourt et s’empresse autour de la bouche du puits où l’explosion a eu lieu : ces visages, pâles et bouleversés par l’inquiétude, se penchent avec désespoir sur cet abîme, où règne un affreux silence. Des premiers secours sont portés : un médecin et des hommes de bonne volonté descendent dans le trou pour aller reconnaître la nature de l’accident. Après une demi-heure ou trois quarts d’heure d’attente, les nouvelles arrivent : le cuffat rapporte à la lumière de moment en moment les morts et les blessés. C’est une scène affreuse et déchirante : les femmes cherchent à reconnaître, les unes leur mari, les autres leur frère ou leur fils, dans ces restes défigurés et noircis, qui n’ont plus même de forme humaine.

Différens moyens ont été employés pour combattre le grisou. On cherche aujourd’hui à entraîner hors de la mine ce gaz redoutable par un aérage rapide, et l’on oppose aux dangers de l’explosion les lampes dites de sûreté. Il faut pourtant croire que ces moyens