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ténèbres. En général, rien au dehors[1]. Nul signe à l’extérieur, nul bas-relief, nulle épitaphe. Le mort ne pense plus aux vivans ; il est entré dans l’autre monde, dans ce monde souterrain où il habite avec ses richesses dans le commerce des divinités souterraines et infernales, et où nul ne doit pénétrer jusqu’à lui. Les tombeaux romains, au contraire, s’élèvent presque toujours à la surface de la terre, placés des deux côtés de la route, sur le passage de la foule. Le mort, dans une épitaphe qui est souvent une allocution au voyageur, dit ce qu’il fut dans cette vie, et parle très peu de l’autre. Du reste il veut être vu, on dirait presque qu’il veut voir encore. Il est là sur le bord de la route, avec son buste ou sa statue, toujours en rapport avec les vivans, toujours les occupant de lui, et il semble encore s’occuper d’eux. Dans l’intérieur de la tombe, on a déposé beaucoup moins de richesses. Sauf le vase de Portland, il n’y a pas d’exemple, je crois, d’un beau vase trouvé dans un tombeau romain. Il ne s’agissait pas en effet pour les Romains d’une existence mystique en rapport avec les puissances ténébreuses, mais d’une existence tout extérieure et tout idéale dans le souvenir des hommes. Ainsi, bien que chez les deux nations le point de départ ait été le même, — l’imitation du tertre amoncelé ou la maison souterraine, — le génie romain a changé bientôt la disposition sépulcrale empruntée primitivement à l’Étrurie. Les Romains, peuple de l’action et de la vie, ont tiré les tombeaux de l’obscurité où les étrusques se plaisaient à les enfoncer pour se rapprocher ainsi du monde funèbre ; eux, les ont placés au grand jour, au soleil, moins comme des sépulcres que comme des temples destinés à perpétuer et à consacrer parmi les vivans le souvenir de ceux qui ont vécu, à rendre présens ceux qui ont passé.

Après avoir cherché à nous faire une idée du génie étrusque par les vestiges qu’il a laissés, nous pourrons mieux discerner en quoi il a dû agir sur la pensée romaine. J’arrive au plus ancien monument de Rome ; ce monument est évidemment étrusque, et nous conduira à faire remonter la domination des rois de cette nation à Rome plus haut qu’on ne le fait d’ordinaire, et jusqu’à Tullus Hostilius. J’en suis fâché pour la royauté romaine, mais le premier monument qu’elle ait construit est une prison, ou plutôt un affreux cachot souterrain à deux étages, qu’on appelle la prison Mamertine.

La république et l’empire ne répudièrent point ce formidable cachot, legs des rois, et Tibère prit soin de l’entretenir et de le réparer. Salluste fait de la prison Mamertine une affreuse peinture, qui

  1. Il faut excepter certaines nécropoles, à Castel-d’Asso, à Norcia, à Blera, où l’on voit des frontons et des moulures de portes sculptés dans le roc.