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et d’autre toit que le ciel! Nous pensons que le grand-duc Constantin emporta de cette revue des impressions que la campagne de Crimée n’aura sans doute pas effacées.

En 1847, le maréchal Bugeaud quitta l’Algérie, la laissant pacifiée et presque entièrement conquise. La soumission d’Abd-el-Kader, qui arriva peu après, fut comme le couronnement de l’œuvre : elle consolidait la paix. La tranquillité dont jouissait le pays permit au gouverneur général de rassembler les trois bataillons de zouaves, qui n’avaient pas été réunis depuis la recomposition du régiment en 1842; ils faisaient partie de la réserve qui s’organisait dans les environs d’Alger. L’organisation de cette réserve, rendue possible par les derniers événemens, permettait de réduire considérablement l’effectif de l’armée : il suffisait de troupes bien moins nombreuses pour occuper les provinces, pourvu qu’on pût porter rapidement, à l’aide de bateaux à vapeur, des forces imposantes sur tout point où une insurrection aurait éclaté. D’ailleurs de nouvelles perspectives s’ouvraient devant l’armée d’Afrique. Les régimens maintenus en Algérie y pouvaient être toujours utilement employés, soit à l’exécution de grands travaux, soit à l’extension de notre domination, soit à la répression des troubles qu’il était prudent de prévoir; mais ils pouvaient aussi fournir à la mère-patrie les premiers et les meilleurs élémens d’une armée destinée à agir sur un point quelconque de la Méditerranée; le mouvement pouvait même s’exécuter avec tout le secret désirable et avec toutes les apparences d’un simple changement de garnison.

Le gouvernement provisoire fut le premier à profiter de cette situation. L’Afrique lui fournit le noyau de l’armée des Alpes. Nul doute qu’il n’eût appelé aussi les zouaves, si la guerre avait éclaté sur le Pô ou sur le Rhin; mais la république ne fut ni attaquée ni agressive, et les zouaves restèrent en Afrique. Ils avaient changé de chefs. Un des derniers colonels nommés par le gouvernement de juillet, M. Canrobert, venait de remplacer le général Ladmirault; il était impossible de faire un plus heureux choix. Le colonel Canrobert avait commencé sa carrière africaine sous les auspices d’un de nos plus vaillans soldats, le colonel Combes, qu’il accompagnait comme adjudant-major lors de sa mort glorieuse à l’assaut de Constantine. Depuis, à la tête d’un bataillon de chasseurs ou des cercles de Tenès et de Batna, il avait acquis l’habitude du commandement, livré de beaux combats, mérité la réputation d’un des meilleurs officiers de l’armée. Son lieutenant-colonel, M. de Grandchamp, portait sur son visage noblement mutilé la trace de ses services[1]. Le régiment, toujours réuni,

  1. Capitaine de voltigeurs au 24e de ligne, M. de Grandchamp fut laissé comme mort dans un combat où un bataillon de cet excellent régiment fut presque entièrement détruit. Il était tellement défiguré par ses blessures, que les Arabes négligèrent de lui couper la tête. Ayant encore sa connaissance, mais hors d’état de remuer ou de parler. M. de Grandchamp subit l’affreux supplice de servir de billot à plus de quarante de ses camarades décapités sur son corps. Sauvé miraculeusement par le dévouement du commandant Morris (aujourd’hui général de division, commandant la cavalerie en Crimée), il put se guérir et a toujours servi de la manière la plus active. Il est aujourd’hui officier général.