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leurs sacs ni poule, ni tortue; mais ils ramenaient des femmes, des enfans, des vieillards dont ils avaient sauvé la vie. Ah ! de pareils hommes sont bons autant qu’ils sont braves. Mais il faut savoir lutter contre leurs mauvais instincts et développer leurs sentimens généreux; il faut, pour les conduire, un mélange de fermeté et d’affection, une discipline sévère, mais dont on sache à l’occasion détendre certains ressorts. Il leur faut des chefs en qui ils aient confiance, qu’ils puissent aimer, respecter, et même craindre un peu. Tels sont ceux qui ont toujours été à la tête des zouaves. Le colonel Cavaignac, continuant sa brillante carrière, avait quitté le corps par avancement au mois d’octobre 1844. Il fut remplacé par un des survivans de l’assaut de Constantine, le colonel Ladmirault[1], bien connu dans le corps, où il avait servi comme capitaine avec la plus grande distinction, et qui depuis avait très heureusement traversé l’épreuve de plusieurs commandemens séparés[2].

C’est ainsi commandé que le régiment de zouaves rentra en ligne quand une insurrection générale embrasa de nouveau toute l’Algérie en 1845. Tandis qu’un bataillon soutenait, près des frontières du Maroc, le premier effort de la lutte, les deux autres parcouraient la province d’Alger en tout sens. L’année 1846 commença sans qu’ils eussent pris aucun repos. Au mois d’avril de cette année, après six mois de marches et de combats, le 1er bataillon de zouaves venait de rentrer à Blidah, couvert des plus glorieux haillons, lorsque le grand-duc Constantin, fils de l’empereur Nicolas, débarqué la veille à Alger, témoigna le désir de voir cette troupe, dont la renommée était déjà parvenue jusqu’à Pétersbourg. Dans la nuit, les zouaves reçurent leurs uniformes neufs. Le lendemain, à neuf heures, ils étaient à Bouffarick, attendant le jeune prince. Lorsque celui-ci, en descendant de voiture, les aperçut en bataille dans une verte prairie, flanqués de deux escadrons de spahis, il ne put dissimuler un mouvement de surprise. Le site d’ailleurs était charmant : la Mitidja était dans tout l’éclat de sa parure du printemps, et aucun nuage ne troublait l’harmonie des belles lignes de l’Atlas; mais le grand-duc n’avait d’yeux que pour les zouaves, et quel ne fut pas son étonnement lorsqu’il apprit que cette troupe d’un aspect si original, pourtant si compacte et si bien paquetée, était rentrée la veille et avait fait six lieues le matin, quand enfin il sut que ces hommes à l’air si martial et si robuste ne connaissaient depuis six mois d’autre lit que la terre

  1. Aujourd’hui général de division.
  2. Parmi les officiers supérieurs qui ont figuré durant cette période à la tête des zouaves, nous citerons encore les lieutenans-colonels Despinoy, mort en Afrique; de Chasseloup-Laubat et Bouat, aujourd’hui généraux de division; Ils chefs de bataillon Dautemarre, Gardarens, Espinasse, aujourd’hui généraux de brigade; Tarbourièh, mort en Crimée colonel des zouaves.