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officiers déjà signalés par leurs services en Afrique, quelques-uns même dans le corps, toujours des hommes distingués par un remarquable ensemble de qualités militaires. Il en fallait en effet de très diverses pour commander aux zouaves, car ils ont aussi leurs imperfections. Les hommes qui embrassent par goût la profession des armes, sans avoir l’espoir d’en faire une carrière bien brillante, ont en général le caractère aventureux, des habitudes un peu ardentes. Après de longues privations, ils résistent rarement aux séductions du cabaret; ils aiment à gaspiller. Leurs notions du juste et de l’injuste ne sont pas toujours très complètes, et le fruit défendu n’est pas sans attraits pour eux. Les zouaves se trouvaient-ils en pays ennemi, sur un territoire abandonné de ses habitans après une énergique défense ? — Sac au dos, le fusil à la main, la bouche encore noire de poudre, ils avaient bien vite tout remué, tout fouillé; rien n’échappait à leur œil scrutateur : vêtemens, poules, provisions de tout genre, gâteaux de figues, grandes jarres pleines d’huile, tout était porté à leur bivouac, et ils tiraient parti de tout. La propriété même du gouvernement n’était pas toujours respectée. Un jour, le maréchal Bugeaud, après une des premières razzias exécutées sous ses ordres, venait d’examiner, avec une certaine satisfaction d’éleveur émérite, le beau troupeau de moutons qui avait à peine été livré à l’administration de la guerre; il était allé se reposer dans sa tente, lorsque son oreille fut frappée de certains bêlemens significatifs. Il sort en toute hâte, il voit les zouaves répandus au milieu du troupeau, et, malgré les efforts de la garde, traitant les moutons à la façon d’Agnelet dans l’Avocat Patelin. Le maréchal ne se contient pas; et le voilà courant en chemise, l’épée à la main, dominant le tumulte de sa voix de stentor; les zouaves disparaissent, mais avec leur proie. Cependant une perquisition faite dans leur bivouac ne donne aucun résultat : personne ne manque à l’appel, personne n’avait vu de moutons. Le père Bugeaud fut forcé d’en rire.

Un autre jour, les zouaves étaient d’arrière-garde; la colonne dont ils faisaient partie ramenait dans le Tell une population immense qui venait d’être atteinte après avoir longtemps suivi la fortune d’Abd-el-Kader. L’avant-garde était partie à quatre heures du matin, et, bien qu’on fût en plaine, à sept heures les dernières familles n’avaient pas encore quitté le bivouac. Il fallait faire onze, lieues pour trouver de l’eau. Ce jour-là, les zouaves furent comme des sœurs de charité, partageant leur biscuit avec les malheureux que la fatigue ou la chaleur accablait, et, quand leur peau de bouc était vide, renversant une brebis ou une chèvre pour approcher de ses mamelles les lèvres desséchées d’un pauvre enfant abandonné par sa mère. Quand ils campèrent à la nuit close, on ne voyait sur