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indigènes était facile, et les débris du bataillon du Méchouar, incorporés dans les zouaves, leur avaient fourni un contingent plus choisi que nombreux de soldats français. Ce bataillon du Méchouar était une troupe de volontaires que le maréchal Clausel avait laissés dans le Méchouar ou citadelle de Tlemcen en 1836, et qui venaient d’en sortir à la paix, après avoir déployé un courage et une résignation admirables, que ne stimulait même pas l’espoir de la récompense. Nous aurons à reparler plus tard du digne chef de cette brave troupe, le capitaine du génie Cavaignac, qui avait fait preuve, dans ce commandement, de vertus militaires du premier ordre, et qui, faute de vacance dans les zouaves, fut promu peu après au commandement du 2e bataillon d’Afrique.

Cependant la paix n’était pas sérieuse, et la trêve ne pouvait être longue. Tout le système créé par Abd-el-Kader reposait sur la guerre sainte; c’est la guerre qui justifiait aux yeux des Arabes les sacrifices d’argent et d’hommes qu’il leur demandait, l’obéissance passive qu’il exigeait. Sous peine de voir son autorité méconnue et remplacée par l’anarchie qu’il avait fait cesser, il devait nous combattre. Il s’y décida quand il ne pouvait plus reculer. Dans le courant de l’année 1839, des symptômes alarmans se manifestèrent dans nos corps indigènes; ils n’avaient pas échappé au vigilant colonel des zouaves : il savait que plusieurs de ses soldats assistaient secrètement à des prédications passionnées. Enfin l’orage éclata à la fin de l’année. La place de Coleah et l’honneur du régiment étaient en trop bonnes mains pour que l’une ou l’autre pussent courir le moindre risque; mais à l’appel de celui que les Arabes considéraient comme un prophète encore plus que comme un sultan, bon nombre des soldats indigènes, même des plus anciens, et qui avaient brûlé plus d’une cartouche à notre service, désertèrent et furent porter dans les rangs de l’ennemi l’instruction militaire que nous leur avions donnée[1]. Ce fut une crise sérieuse pour les zouaves, mais le régiment en sortit comme retrempé; la proportion des Français y fut plus forte, et ce ne fut certes pas un mal. A l’annonce du renouvellement des hostilités, les volontaires y avaient afflué, les uns ayant déjà servi, d’autres jeunes soldats, mais pleins d’ardeur. Encadrés dans un corps d’officiers et de sous-officiers accomplis, ils étaient bien vite en état de faire un excellent service, en sorte que les deux bataillons de zouaves reprirent la campagne aussi nombreux et meilleurs que jamais.

  1. On les retrouvait à la tête des soldats d’Abd-el-Kader jusqu’au fond de la province de Constantine. Dans un combat livré en 1844 sur les pentes sud de l’Aurès (combat où le capitaine Espinasse, aujourd’hui général aide-de-camp de l’empereur, fat atteint de quatre coups de feu), c’était encore un ancien zouave qui commandait les Kabyles et défendait avec intelligence leur position principale.