Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se montrèrent plus animés de l’orgueil, de l’ambition de l’esprit de corps, mais orgueil sans péril dans une armée où il n’existe pas de privilèges, ambition qui n’est avide que de labeurs et de dangers. Pendant l’établissement des batteries, on les vit en plein jour, sous le feu de la place, relever et traîner jusqu’au sommet du Mansourah les pièces de 24 que dans la nuit les chevaux de l’artillerie n’avaient pu arracher à la boue. Le jour de l’assaut, ils obtinrent l’insigne honneur de marcher en tête de la première colonne. Tous ceux qui ont parcouru les galeries de Versailles se rappellent le saisissant tableau d’Horace Vernet : Lamoricière au sommet de la brèche, où il allait disparaître bientôt dans un nuage de fumée et de poussière au milieu d’une effroyable explosion; à côté de lui, le commandant Viens, du génie, escaladant le pan du mur sur lequel il allait être frappé à mort, et déployant pour la dernière fois cette force athlétique qui, au début de sa carrière, le 18 juin 1815, avait enfoncé la porte de la Haye-Sainte; à ses pieds, le capitaine Gardarens tombé blessé au pied du drapeau qu’il avait planté sur la brèche et qu’il tient encore embrassé; un peu plus bas, l’héroïque colonel Combes du 47e et tant d’autres braves que le peintre n’a connus que par les regrets de leurs camarades! La gloire se paie cher : le petit bataillon de zouaves fut plus que décimé dans ce meurtrier assaut; plusieurs officiers étaient restés morts sur la brèche; les autres, presque jusqu’au dernier, étaient ou grièvement blessés, ou horriblement brûlés par l’explosion.

La prise de Constantine est le dernier épisode de la première époque des guerres d’Afrique; le traité de la Tafna était conclu, et le dernier vestige du gouvernement turc avait disparu. Une période de paix relative commençait. Tandis que dans l’est nos généraux et nos officiers s’essayaient à gouverner directement un vaste territoire et une nombreuse population indigène, à l’ouest et au centre une autre expérience était tentée; on allait chercher à créer des établissemens, une société européenne à côté d’une société arabe organisée par le génie d’Abd-el-Kader, et se gouvernant elle-même pour la première fois depuis plusieurs siècles. Le maréchal Valée conduisait ces deux entreprises avec la sagacité et la persévérance qu’il apportait aux travaux de la paix comme à ceux de la guerre. L’occupation du mince territoire que nous nous étions réservé aux environs d’Alger fut complétée. Placés aux avant-postes, les zouaves recommencèrent à Coleah l’œuvre qu’ils avaient déjà accomplie à Dely-Ibrahim; c’étaient des abris à créer, des constructions à faire, des routes à ouvrir, des desséchemens à exécuter : campagne pacifique, mais rude, et, sous un climat souvent insalubre, presque aussi meurtrière que le combat. Le régiment d’ailleurs était beau et nombreux; le recrutement des