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de certains droits d’enregistrement. À l’aide de ces mesures, l’intérêt des deux emprunts a pu être inscrit dans les dépenses ordinaires et permanentes sans troubler trop sensiblement l’équilibre des finances. Il y aurait même un excédant de recettes de quatre ou cinq millions, si les prévisions du budget de 1856, qui vient d’être présenté au corps législatif, se réalisaient. Les recettes en effet sont évaluées à 1,602 millions, et les dépenses à 1,597 millions ; mais on ne saurait oublier, pour apprécier exactement la situation générale de nos finances, que c’est là une prévision, que dans ces chiffres ne sont point comprises les dépenses extraordinaires de la guerre, et en outre que l’état a dû mettre l’avenir de moitié avec le présent dans certaines dépenses de travaux publics. Il reste aujourd’hui au corps législatif la mission d’examiner le budget de 1856. Dans tous les cas, si des charges et des difficultés de plus d’un genre pèsent sur nos finances, il est un fait qui ressort de partout : c’est la promptitude avec laquelle la France retrouve toute la puissance de ses moyens matériels, de même qu’elle est toujours accessible aux grands instincts politiques, et qu’elle se reprend à goûter toutes les distinctions sociales et intellectuelles.

C’est à l’attrait intellectuel en effet que les divers incidens de notre vie sociale doivent encore leur relief le plus vif. Contrastes du passé et du présent, sympathies mondaines, intérêt de l’intelligence honorée et saluée sous une de ses formes les plus saisissantes, tout cela ne se réunissait-il pas, il y a peu de jours, pour revêtir d’un caractère particulier la réception de M. Berryer à l’Académie française ? Il y a plus de deux ans que M. Berryer avait été élu ; aujourd’hui seulement il vient de recevoir la solennelle investiture académique, et désormais c’est un immortel de plus. La politique n’était point certainement absente dans cette séance si longtemps attendue, trop attendue peut-être ; eût-elle été bannie avec soin, on l’aurait cherchée encore, et on l’aurait trouvée partout ; on l’aurait vue dans cette affluence singulière d’une société choisie et sympathique, dans cette attente secrète de ce qui allait arriver, dans tous ces signes qui ne trompent pas, même au sein de la réunion la plus paisible. La politique au reste s’est peu cachée, on dit même qu’elle était intervenue dans le choix des personnes qui devaient se tenir auprès du récipiendaire. Une circonstance fortuite n’a pu qu’achever le tableau et lui donner un plus piquant intérêt, en mettant M. Berryer, l’adversaire de la monarchie de 1830, en présence d’un des ministres de cette même monarchie, M. de Salvandy, chargé de recevoir le nouvel élu.

Chose étrange ! bien des hommes à qui l’Institut eût été en quelque sorte interdit il y a dix ans s’y trouvent ramenés aujourd’hui. La politique les eût éloignés autrefois, elle leur ouvre maintenant la route ; elle est le bien des hommes, le ressort secret des combinaisons académiques, l’âme de ces solennités nouvelles où les noms de Richelieu et de Louis XIV retentissent plus souvent que les noms de Corneille et de Racine. Il ne faudrait point cependant dépasser certaines limites, parce que la politique à l’Institut risque toujours, en définitive, d’être de la politique d’académie. Il ne faudrait pas davantage réduire les affaires académiques aux proportions de combinaisons entièrement personnelles, dictées par l’intérêt du moment. M. Berryer a heureusement d’autres titres académiques que des titres de circonstance.