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un beau corindon jaune montant presque jusqu’à l’orangé. Quand on apprend au juif de Shakspeare, dans le Marchand de Venise, que sa fille a fait cadeau de sa belle topaze en retour d’un singe qu’on lui a offert, il s’écrie douloureusement : « Ah ! malheureux ! j’aurais donné tout le pays des singes pour ma topaze ! » Aujourd’hui ce ne serait pas la topaze qu’on prendrait pour type de la gemme par excellence.

Le jaune n’est pas la couleur que Pline assigne à la topaze, pas plus qu’il ne donne le bleu au saphir. L’empereur Maximin, qui d’un coup de poing brisait toutes les dents d’un cheval, et qui d’une de ses augustes ruades lui cassait la cuisse, avait assez de fermeté dans les doigts pour y broyer des topazes, comme nous pourrions y réduire en poudre du sucre friable ou de la une de pain. Quelle que fût la nature de la gemme, le tour de force n’en est pas moins presque incroyable. La topaze a fait longtemps les délices des Espagnols, et ils en ont travaillé les plus indignes échantillons. Aujourd’hui, quand on voit chez M. Charles Achard une pierre de cette espèce avec une riche teinte jonquille presque veloutée, comme la teinte d’un saphir, offerte à un prix médiocre, on ne s’explique pas ce caprice de la mode en fait de gemmes.

C’est avec la topaze blanche du Brésil que Fresnel a fait ses importantes découvertes sur la double réfraction à deux axes. C’est aussi cette topaze qui, sous le nom de goutte d’eau, se taille en faux diamant. Cette pierre sert encore en minéralogie comme l’un des types de dureté. Ainsi on dit qu’une pierre raie le verre, raie le cristal de roche, raie la topaze, raie le saphir, suivant ses divers degrés de dureté. C’est un caractère fort utile pour reconnaître les pierres gemmes. Ainsi la goutte d’eau ne pourra rayer le saphir, ce que ferait assurément un vrai diamant. Le diamant noir de Bornéo aurait rayé tout et même le diamant. Quant au péridot et à l’opale, ils ne raieraient rien du tout, pas même le verre brun de bouteille dont je me sers ordinairement dans ces expériences, car le verre des vitres est devenu fort mou depuis que, pour économiser le combustible, on y a mis une plus grande quantité de fondant alcalin.

La topaze bleue du Brésil ne monte jamais au ton du saphir. Ce n’est qu’une aiguë marine de qualité supérieure. De toutes les topazes, la seule qui ait une assez grande valeur, c’est celle que l’art a colorée en rose clair, d’une charmante teinte, au moyen du feu. Il suffit de choisir, dans les topazes jaune foncé ou jaune orangé mielleux, les échantillons bruts que l’on veut passer au feu. On les met ensuite dans des cendres ou dans du sable, en les amenant peu à peu à la chaleur rouge ou à la chaleur blanche plus ou moins prolongée. Quand on les retire, on leur trouve la teinte rouge clair du rubis balais, dont le nom même est donné à cette topaze, dite topaze brûlée