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était restée en pleine vigueur sous le nom de privilège des aïeux (aviticifas). Le possesseur héréditaire ne pouvait vendre tout ou partie de son domaine à un étranger qu’au refus des parens et héritiers présomptifs. A défaut de cette formalité, tout parent conservait le droit d’évincer l’acquéreur en rachetant l’immeuble à prix coûtant. L’activité conférait même au noble hongrois le privilège de se faire restituer les biens vendus par ses ancêtres, en remboursant seulement le prix d’achat, sans tenir compte des travaux d’amélioration ni de la disproportion des valeurs à diverses époques. Il est évident qu’en faisant courir de pareilles chances aux capitalistes, le noble propriétaire ne pouvait contracter qu’à des conditions désastreuses.

Pour comble de malheur, le cultivateur n’était pas plus intéressé à l’amélioration du sol que celui qui en était propriétaire. Le territoire, propriété du seigneur, était divisé en deux catégories : les terres exploitées par les seigneurs eux-mêmes, et celles qui étaient mises en culture par les paysans. Au servage, aboli par Marie-Thérèse et son fils Joseph II, avait succédé un lien de sujétion (nexus subdiletœ). Les terres cultivées par les sujets étaient divisées en portions dont la contenance variait, suivant les comitats, de 22 à 62 jochs (de 12 hectares 67 ares à 35 hectares 71 ares), tant en terres labourables qu’en prairies. Pour la jouissance de chaque portion, le paysan devait à son seigneur la neuvième partie de tous les produits, 52 journées de travail avec attelage ou 104 journées de travail d’un homme, 1 florin en argent pour le loyer de la chaumière, l’impôt en argent pour l’état, et la dixième partie des produits en nature pour le clergé.

Comme le main-mortable du moyen âge, le sujet hongrois pouvait quitter la terre en donnant congé au seigneur six mois à l’avance; mais en ce cas il n’emportait avec lui que ses acquisitions mobilières. Les améliorations foncières qu’il avait effectuées profitaient au domaine sans indemnité. Le seigneur ne pouvait déposséder le paysan qu’en obtenant contre lui sentence d’un tribunal supérieur : il ne lui était pas permis d’exploiter pour son compte, et conformément aux principes de la culture libre, la terre ainsi rentrée en sa possession; la règle féodale l’obligeait à la transmettre à un autre sujet. Le paysan pouvait se faire remplacer, pourvu que son maître y consentît; il pouvait entreprendre l’exploitation de plusieurs lots, à la condition d’y installer le nombre de cultivateurs jugé nécessaire. Chaque lot était divisible entre les membres d’une famille agricole, mais jamais au-delà de huit parcelles. Pour caractériser complétement le sort du paysan hongrois, ajoutons que le seigneur avait droit de prononcer seul contre son sujet la peine de vingt-cinq coups de bâton ou de trois jours de prison, que comme juge, et avec