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vestibule ou sur l’escalier. Rien n’est plus déplaisant pour des yeux européens que l’aspect de ces dames se levant le matin dans leurs atours de la veille froissés et fanés par la pression du matelas ou par les mouvemens irréguliers du sommeil.

Le but principal d’un chef de famille turc étant d’avoir le plus grand nombre possible d’enfans, tout dans la vie domestique est subordonné à cette considération. Si une femme demeure deux ou trois ans sans concevoir, elle est aussitôt éloignée; son époux la remplace par une compagne plus féconde. Personne ne s’inquiète des regrets, de la jalousie de la pauvre délaissée; mais il est bon d’ajouter que si au lieu de gémir et de pleurer, celle-ci s’avise de se défaire par un moyen quelconque de sa rivale, personne ne s’inquiète du sort de cette dernière. Aussi je ne pense pas qu’il y ait quelque part de créatures plus dégradées que les femmes turques de la classe moyenne; leur abaissement se trahit sur leur visage. Il est malaisé de se prononcer sur leur beauté, car leurs joues, leurs lèvres, leurs sourcils et le bord de leurs yeux sont défigurés par des couches épaisses de fard appliqué sans goût ni mesure; leur taille est rendue difforme par la coupe ridicule de leurs vêtemens, et leurs cheveux sont remplacés par du poil de chèvre teint en orange foncé. L’expression de leur visage est à la fois la stupidité, une sensualité grossière, l’hypocrisie et la dureté. De principes de morale ou de religion, pas la moindre trace. Leurs enfans les occupent et les ennuient à la fois, elles en prennent soin comme du marche-pied qui leur sert à atteindre à la faveur de leur époux; mais toute pensée de devoir maternel leur est étrangère : on en voit la preuve dans la fréquence des avortemens que ces femmes se procurent sans même s’en cacher, chaque fois que la naissance d’un enfant n’entre pas dans leurs vues.

Environ une quinzaine de jours avant mon départ pour Angora, le chef d’une confrérie de derviches établie dans une petite ville peu éloignée de ma résidence vint me demander un médicament pour sa fille atteinte de certaines infirmités qui me semblèrent autant de symptômes de grossesse. Je fis part de mon opinion au vénérable personnage, qui me répondit avec un gracieux sourire que sa fille ne voulait pas être grosse. — Qu’elle le veuille ou non, repris-je, si elle l’est, il faudra bien qu’elle en prenne son parti. — Impossible, ma chère dame, répondit le vieillard; son mari est parti pour l’armée, et ma fille est bien résolue à ne pas avoir d’enfans avant son retour. — Je donnai aussitôt à entendre au derviche que je ne le comprenais plus du tout. Le vieillard parut embarrassé, et tout en se grattant l’oreille, il entamait de nouvelles explications, lorsque l’un de mes gens, qui l’avait suivi pour nous servir de truchement.