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n’ont aucune noble apparence, et ne révèlent aucun goût, ni aucun art. Toute leur richesse consiste dans leur ameublement et leur décoration intérieure. Là l’homme vit enfoui au milieu d’un entassement de draperies, de rideaux, de tapis et de lustres, sous lesquels il disparaît. L’or reluit sur toutes les murailles, et les étoffes précieuses servent aux plus vulgaires usages. Il y a là une profusion de richesses, une prodigalité insolente qui enlèvent à notre luxe tout caractère de beauté. Ce luxe, qui manque de grandeur sévère et de noblesse, nous a toujours paru empreint d’un caractère repoussant et vulgaire, ces meubles ont je ne sais quel cachet impur, ces dorures sentent la promiscuité, ces draperies rappellent le théâtre, toutes ces richesses bien réelles miroitent comme du clinquant. On se demande involontairement quel est l’hôte de tel logis qui semble ne convenir qu’à une courtisane ou à quelque sensuel nabab de l’Orient, et l’on est souvent fort surpris d’apprendre que cet hôte est un honnête bourgeois, riche et rangé, d’une vie honorable et même assez simple, qui a eu la singulière idée de se former un intérieur qu’on pourrait prendre pour le foyer d’un théâtre et les appartemens d’une fille entretenue. Ce luxe d’un goût équivoque et d’un raffinement grossier est cependant tout ce que l’industrie a produit de plus remarquable sous le rapport artistique. On a dit bien souvent que l’industrie tuait l’art, il serait plus juste de dire qu’elle l’avilit. De plus en plus elle le réduit à la décoration et à l’ornementation. Les meubles, les bronzes, les statuettes, les étoffes, voilà nos arts plastiques, notre sculpture et notre peinture. S’il est vrai que les arts reflètent exactement la vie de la société, nous pouvons prendre de nous-mêmes une assez triste opinion. Avoir pour Raphaëls des décorateurs de corniches, pour Michel-Anges des dessinateurs sur étoffes, et pour régulateurs suprêmes du goût des tapissiers, quelle destinée! Il est juste de dire aussi que l’industrie a fait faire aux arts de nouveaux progrès, qui consistent à remplacer le génie de l’homme par l’action d’une force physique : le daguerréotype nous dispense d’avoir des Titiens, la photographie d’avoir des Marc-Antoines. Les partisans effrénés du progrès moderne se pâment d’admiration devant les œuvres de ce peintre merveilleux, le soleil. Plus de réserve siérait mieux. Ces inventions nous inspirent un enthousiasme très modéré, comme tout ce qui est mécanique et n’a rien de moral et d’humain.

Voilà quelques-uns des vices que l’industrie non réglée a produits dans le présent; quel avenir nous réserve-t-elle ? Hélas! à observer certains signes, cet avenir est peut-être plus triste que le passé. Les générations qui nous ont précédés avaient encore quelques-unes des qualités qui font pardonner les erreurs et les vices; mais les générations qui grandissent chaque jour et celles même qui entrent à peine dans la vie nous promettent de racheter amplement la mollesse