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pour démentir d’abord ce qu’ensuite il lui avait bien fallu confesser. En 1642, elle eut recours aux mêmes moyens. Elle descendit à des humilités aussi incompatibles avec une bonne conscience qu’avec sa dignité et son rang. Elle prodigua à Richelieu les marques d’intérêt et d’attachement ; elle fit paraître « une grande horreur pour l’ingratitude du grand-écuyer ; » elle déclara qu’elle « se remettoit sans réserve entre les mains du cardinal, » qu’elle ne voulait plus se gouverner que par ses conseils, et qu’elle chercherait désormais tout son bonheur en ses enfans, dont elle abandonnait bien volontiers l’éducation à Richelieu. Elle lui écrivit elle-même pour lui demander avec tendresse des nouvelles de sa santé, comme autrefois elle lui avait demandé sa main et offert la sienne en signe d’éternelle alliance, ajoutant très humblement qu’il ne se donnât pas la fatigue de lui répondre[1]. Elle fit bien plus, elle ne se borna pas à la dissimulation et au mensonge : dans ce péril extrême, elle alla jusqu’à se tourner contre la courageuse amie qui se dévouait pour elle. Elle l’eût embrassée comme une libératrice, si la fortune se fût déclarée en sa faveur ; vaincue et désarmée, elle l’abandonna. Comme elle avait protesté de son horreur pour la conspiration qui avait échoué et pour ses deux imprudens et infortunés complices qui montèrent sans la nommer sur l’échafaud, ainsi, voyant le roi et Richelieu déchaînés contre Mme de Chevreuse et bien décidés à repousser les nouvelles instances que faisait sa famille pour obtenir son rappel, la reine, loin d’intercéder pour son ancienne favorite, se joignit avec passion à ses ennemis, et, afin de donner le change sur ses propres sentimens et de paraître applaudir à ce qu’elle ne pouvait empêcher, elle demanda comme une grâce toute particulière qu’on tint la duchesse éloignée de sa personne et même de la France. « La reine, écrit à Richelieu son ministre des affaires étrangères, Chavigny[2], la reine m’a demandé avec soin s’il étoit vrai que Mme de Chevreuse revînt, et, sans attendre ce que je lui répondrais,

  1. Archives des affaires étrangères, ibid., t. CI., lettre de Le Gras, secrétaire des commandemens de la reine, à Chavigny, Saint-Germain, 2 juillet 1642 ibid., t. CII, lettre du comte de Brassac, surintendant de la maison de la reine, à Chavigny, du 20 juillet. Ibid l. CI, autre lettre de Le Gras à Chavigny, où il lui rappelle sa première lettre et celle de M. de Brassac, etc. Ibid., Chavigny à Richelieu, du 28 juillet. Ibid., le même an même, 12 août, jour de l’exécution de Cinq-Mars et de De Thou : « … Je suis persuadé que la tendresse que la reine témoigne pour monseigneur est sans dissimulation, et qu’il n’y a rien au monde plus aisé que l’y entretenir, ne demandant autre grâce dans le monde que d’être auprès de messieurs ses enfans, sans y prétendre aucun pouvoir, ni se mêler de leur éducation dont elle souhaite passionnément que monseigneur soit le maître. Elle m’a commandé d’en assurer son éminence, et qu’elle est dans une extrême impatience de le voir. »
  2. Archives des affaires étrangères, ibid.