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lui-même dans le tragique procès qui le conduisit à l’échafaud[1]. Un ami de Richelieu, qui ne se nomme pas, mais qui paraît parfaitement informé, n’hésite point à mettre Mme de Chevreuse, ainsi que la reine, parmi ceux qui alors ont voulu le renverser : « M. le Grand, écrit-il au cardinal[2], a été poussé à son mauvais dessein par la reine-mère, par sa fille, par la reine de France, par Mme de Chevreuse, par Montaigu et autres papistes d’Angleterre. »

Enfin le cardinal lui-même, dans les premiers jours de juin 16A2, retiré à Tarascon, pour sa santé sans doute, mais aussi pour sa sûreté, avec ses deux confidens, Mazarin et Chavigny, et les fidèles régimens de ses gardes, se sentant environné de périls et faisant représenter à Louis XIII la gravité de la situation, cite parmi les indices les plus frappans ce qu’on lui écrit de Mme de Chevreuse[3]. Quel parti en effet conspirait contre Richelieu ? N’était-ce pas le parti du passé, — le parti de la ligue, de l’Autriche et de l’Espagne ? et Mme de Chevreuse à Bruxelles, par ses liens avec le duc de Lorraine, la reine d’Angleterre, le chevalier de Jars à Rome et le comte-duc Olivarès à Madrid, n’était-elle pas une des puissances considérables de ce parti ? Quand donc on le sentait s’agiter, il était fort naturel de soupçonner dans tous ses mouvemens la main de Mme de Chevreuse.

Mais bientôt l’œil de Richelieu perce la nuit qui l’enveloppe ; il voit clair dans les menées du grand-écuyer, que depuis longtemps il surveillait : une trahison, dont le secret est demeuré impénétrable à toutes les recherches depuis deux siècles, fait tomber entre ses mains

  1. Nouveaux Mémoires d’histoire, de critique et de littérature, par M. L’abbé d’Artigny, t. IV. Pièces originales concernant le procès de MM. de Bouillon, Cinq-Mars et De Thou. Interrogatoire du 6 juillet 1642, et surtout deuxième interrogatoire du 24 juillet : « Interpellé que pour ses sentimens il les a trop fait connoître en l’affaire de Mme de Chevreuse, a dit que pour l’affaire de Mme de Chevreuse, ayant la parole de M. le cardinal il s’en tient assuré, sachant bien qu’il ne fait pas de grâce à demi. »
  2. Archives des affaires étrangères, France, t. CI, etc.
  3. Archives des affaires étrangères, France, t. CII, mémoire inédit de Richelieu : « … Il faut que MM. de Chavigny et de Noyers parlent au roi et lui disent une le cardinal, voulant partir de Narbonne, suivant son conseil, pour changer d’air, et ne sachant quel changement son transport apporteroit à son mal, a voulu témoigner l’extrême confiance qu’il a en sa majesté en lui découvrant ce qui s’apprend de toutes parts, Les lettres du prince d’Orange, la Gazette de Bruxelles, celle de Cologne, les préparatifs de la reine-mère pour venir, les litières et mulets achetés, ce qui s’écrit par lettres sûres de Mme de Chevreuse, ce qui s’écrit encore de nos côtes de la France, les bruits qu’il y a dans toutes les armées, les avis qui viennent de toutes les cours d’Italie, les espérances des Espagnols, soit du côté d’Espagne, soit de Flandres, la résolution que Monsieur a prise de ne point venir contre ce qu’il avoit promis, attendant peut-être l’événement du tonnerre, toutes ces choses ont obligé à en avertir le roi, afin qu’il mette ici ordre qu’il lui plaira à des bruits qui ruinent les affaires. »