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monde pour qui vous avez le plus de dévouement ; M. de Bouillon et moi nous avons brûlé toutes celles qui étoient dans la cassette du comte. » La reine connaissait certainement le complot de Cinq-Mars, et elle y donna les mains. Peut-être ignorait-elle le traité avec l’Espagne ; mais pour tout le reste et contre le cardinal elle s’entendait avec les conspirateurs. La Rochefoucauld l’affirme plusieurs fois comme une chose où il a été mêlé : « l’éclat du crédit de M. le Grand, dit-il, réveilla les espérances des mécontens ; la reine et Monsieur s’unirent à lui ; le duc de Bouillon et plusieurs personnes de qualité firent la même chose. M. De Thou vint me trouver de la part de la reine pour m’apprendre sa liaison avec M. le Grand, et qu’elle lui avoit promis que je serois de ses amis[1]. » Le duc de Bouillon déclare que la reine s’était étroitement liée avec Monsieur et avec le grand-écuyer, et qu’elle-même lui avait demandé son concours : « La reine[2], que le cardinal avoit persécutée en tant de manières, ne douta point que si le roi venait à mourir, ce ministre ne voulût lui ôter ses enfans pour se faire donner la régence. Elle fit rechercher le duc de Bouillon par De Thou secrètement et avec beaucoup d’instances. Elle lui fit demander que, le roi venant à mourir, il voulût lui promettre de la recevoir dans Sedan avec ses deux enfans, ne croyant pas, tant elle étoit persuadée des mauvaises intentions du cardinal et de son pouvoir, qu’il y eût aucun lieu de sûreté pour eux dans toute la France. De Thou dit encore au duc de Bouillon que, depuis la maladie du roi, la reine et Monsieur, le duc d’Orléans, s’étoient liés étroitement ensemble, et que c’étoit par Cinq-Mars que leur liaison avoit été faite. Deux jours après, De Thou souhaita que la reine témoignât au duc de Bouillon la satisfaction qu’elle avoit de la manière dont il avoit répondu aux choses qui lui avoient été dites de sa part ; ce qu’elle ne put faire qu’en peu de paroles et en passant pour aller à la messe, se remettant du reste à De Thou comme ayant en lui une confiance entière. » Turenne écrivant plus tard à sa sœur, Mlle de Bouillon, lui dit : » Vous pouvez juger combien il doit être sensible à mon frère de voir la reine et Monsieur tout-puissans, et d’avoir perdu Sedan pour l’amour d’elle[3]. « Or, où la reine Anne s’était si fort engagée, Mme de Chevreuse n’avait guère dû s’abstenir. Ajoutez qu’elle était depuis longtemps très liée avec De Thou, qui s’était compromis pour elle dans une affaire qu’il nous est impossible de déterminer, mais où nous savons qu’il eut grand’peine à obtenir son pardon du cardinal, comme il le reconnaît

  1. Mémoires, ibid., p. 362 et 363.
  2. Mémoires de la vie de Fréd.-Maurice de La Tour d’Auvergne, duc de Bouillon (par son secrétaire Langlade), l’avis. 1692, in-12.
  3. Lettres et Mémoires, etc., publiés par le général Grimoard, in-f°, t. Ier, p. 40.